La Chienne de Jean Renoir - 1931
Tourné la même année que le piètre On purge Bébé, La Chienne est un moment bouleversant, où tout le génie de Renoir explose dans la poésie, la sensibilité et le nihilisme les plus complets. Le destin du pauvre petit caissier, interprété par un Michel Simon au-delà du génie, piètre, minable, désespérant de petitesse, et par-là même sidérant de vérité, se déroule inexorablement, avec une totale absence de morale, une totale absence d'issue. On assiste à la déchéance physique et morale de ce type, dont la probité et le courage sont foudroyés par l'amour pour une pute (Janie Mareze, mais pourquoi ne l'a-t-on jamais vue ailleurs ?). Il est manipulé de bout en bout, aveugle, pitoyable, et on a sincérement mal pour lui (et pour nous, c'est là le grand talent de Renoir).
La mise en scène est une des plus grandes du maître, avec le sommet que constitue le meurtre, longue errance de la caméra entre la fenêtre du crime et la rue pleine de joie et de monde. C'est puissant, d'une tristesse insondable : Carné peut aller se rhabiller. Tous les plans du film sont cadrés entre deux portes, on filme des dos (Michel Simon joue très bien l'homme trahi avec son dos...), des visages cachés, on monte des sons bouffés par la musique ou les bruits extérieurs, on entraîne les personnages dans des valses infernales. Bref, tout est triste, odieux, et pourtant tout est beau. Le rythme est parfait, très rapide souvent pour finir sur des images presque arrêtées, des moments de temps suspendus par le drame. On ne sait plus, en fin de compte, si l'on doit pleurer du vide de l'existence, ou rire de ce destin d'homme sans caractère, qui passe de la beauté (il est peintre au début, et on aperçoit, plans touchants, des toiles de Renoir père) à la déchéance de Boudu. Bouleversant, je vous dis. Renoir...
Renoir est tout entier ici