Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
31 août 2022

LIVRE : Le Coeur ne cède pas de Grégoire Bouilier - 2022

9782080247377,0-8700408Grégoire Bouillier ne fait vraiment rien pour se faire aimer avec son nouveau livre, somme écrasante autour de la mort d'une femme dans les années 80 : ex-mannequin, Marcelle Pichon a été retrouvée morte dans son petit appartement parisien, après dix mois ; elle s'était laissée mourir de faim, en tenant jour après jour un journal de bord de son agonie. L'événement marqua alors Bouillier, qui aujourd'hui décide d'exhumer ce fait divers et de faire toute la lumière sur la personnalité de cette femme anonyme, d'interroger son passé, ses amours, sa vie, pour tenter de comprendre comment elle a pu en arriver à cette extrémité-là. Première erreur : aussi affreux soit-il, cet événement ne parvient pas à nous captiver, n'a pas cette pâte de suspense, de glamour, de romanesque qui fait qu'on a envie de suivre Bouillier jusqu'au bout de ces 900 denses pages. Lui se passionne pourtant, et adopte pour cette enquête la même méthode que celle qu'il s'était appliquée à lui-même dans le génial Dossier M. : tenter de tout dire, de tout révéler d'un événement, remontant s'il le faut jusqu'aux temps de la peste, relisant Oscar Wilde, passant en revue les émissions de télé, les articles de presse, les austères papiers administratifs, rêvassant quand il le faut aux conséquences de telle ou telle information, allant même jusqu'à consulter voyants, graphologues, astrologues et autres morpho-psychologues. Le but donc : être exhaustif sur le sujet, faire le tour complet, épuiser aussi bien ce qu'on peut dire que l'écriture elle-même sur Marcelle Pichon. Quelque chose finalement de Sophie Calle (l'ombre maléfique de Bouillier depuis toujours) qui avait suivi un inconnu dans la rue pour relever chacun de ses gestes comme un détective privé. Bouillier choisit ici un fait divers "banal" comme il y en a des dizaines par jour, et fouille jusqu'à sa racine pour tenter de le comprendre.

Mais deuxième erreur : le gars n'est pas Philippe Jaenada, modèle quasi-revendiqué du livre. N'ayant pas sa rigueur documentaire, n'ayant pas son sens du suspense, n'ayant pas sa pugnacité inlassable, il passe à côté de son enquête, qui de toute façon n'avait rien de passionnant. Bouillier est un rêveur, pas un flic ; ce qu'il ne sait pas, il l'imagine sans vergogne, et ce sont alors de très longues pages d'extrapolations et de questions (et si... ? peut-être que... ? J'aie à penser que...). Question rigueur, le livre manque vraiment de travail, et si on aime chez cet auteur le ton drolatique et nonchalant, on regrette qu'il ne soit pas plus rigoureux dans son investigation. La seule vérité avérée qui adviendra sur Marcelle, c'est le petit-fils de celle-ci qui la donnera à la fin du bouquin, comme un camouflet aux 800 pages qui précèdent. Et comme si, ne peut-on s'empêcher de penser un peu méchamment, on les avait lues complètement inutilement. D'autant que Bouillier est cette fois pris plus souvent qu'à son tour à la facilité et au mauvais goût : les dialogues avec "Penny", l'assistante qu'il s'est inventée pour flirter avec le roman de détectives, sont nuls, autant le dire, remplis de jeux de mots ringards et de réflexions beaufichonnes ; les pages psycho ou historiques sur le passé de Marcelle sont assommantes, beaucoup trop longues, mal troussées, ne parvenant jamais à trouver notre intérêt. Trop de fausses pistes, que le gars inclut tout de go dans son récit et donnant lieu à de longs passages, trop de piétinement, trop de postures un peu petit-malin : bref, on est très déçu par ce livre qui ne parvient à rien de bien convaincant : ni à être captivant (on se fout bien vite de ce cadavre), ni à être drôle, ni à trouver la profondeur, ni même à nous faire retrouver l'auteur qu'on a adulé jadis.

Bon, mais alors attention toutefois : l'important n'étant pas le but mais la quête, notons tout de même qu'on lit malgré tout ce pavé avec bien souvent des raisons de se réjouir. Ben oui. Parce que, peu à peu, on sent bien qu'il faut lire derrière cet événement après tout bien commun autre chose, quelque chose de plus autobiographique bien entendu (chez cet auteur qui a fait de sa vie le cœur de ses livres, on ne s'en étonnera point). On comprend bientôt que cette quête d'une inconnue et la quête d'un père également inconnu pour Bouillier, que cette femme qui se suicide par une des pires morts qui soient est un masque pour parler de l'assassinat de son propre double. Quand il touche ainsi à cette chose intime et enfouie qu'il a en lui, on retrouve l'écrivain hyper-sensible du Dossier M et de Rapport sur moi, et on voit un peu mieux le but fixé. Le gars est par ailleurs doté d'un sérieux humour et d'un enthousiasme certain pour maints sujets : le livre nous plonge d'un chapitre à l'autre dans de nombreux sujets ; certains sont ennuyeux comme je disais, mais d'autres vous entraînent sans problème. Le Coeur ne cède pas est un roman éclectique, hétérogène, touche-à-tout, et c'est plaisant. Comme il est écrit en plus dans un style assez fun, mêlant sans vergogne l'érudition extrême à la culture populaire, les formules alambiquées aux réflexions prolo, on suit le truc malgré tout, par la seule magie d'une écriture dynamique et marrante. Il fallait ça pour qu'on vienne à bout de cet énorme machin très très très inégal.

Commentaires
M
Je ne partage pas votre avis, Monsieur. J'estime que votre ton est fichtrement déplacé : "le gars" pour parler de l'auteur ; "énorme machin" pour évoquer le roman... Grégoire Bouillier a eu la bonne idée de s'intéresser à ce sujet – qui est tout sauf commun et qui ne peut en aucun cas être réduit à un "simple suicide" ! Ce n'est pas un fait commun Monsieur. Se laisser mourir de faim en tenant le journal de sa propre agonie est inédit, un cas unique au monde ! Vous ne signez pas vos écrits et il me semble que vous avez peut-être un contentieux avec l'auteur... ce qui vous regarde... mais à vous lire, on sent une amertume que je ne m'explique pas. Ce qui est certain, c'est que vous devriez pondérer vos propos – qui sont, selon moi, réellement déplacés et tout à fait inintéressants. Le livre, édité chez Gallimard, a été sélectionné pour les Prix Goncourt, Femina, Renaudot... et ce n'est pas pour rien ! Cordialement. Maora
Répondre
Derniers commentaires