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2 avril 2019

LIVRE : Charlot déprime / Un Rêve de Charlot de Grégoire Bouillier - 2019

9782290173671,0-5638556Tiens, un petit bouquin de Bouillier qui nous arrive d'on ne sait trop où, voilà qui réjouit forcément le quidam. L'occasion en a été donné à l'éditeur par les fameuses manifestations des gilets jaunes : un soir, quelqu'un s'en est pris à Bouillier en reprochant aux intellectuels et aux écrivains de ne pas avoir fait leur boulot pour rendre compte de ce qui se passe dans ces manifs, comme si elles étaient réservées à une certaine couche de population, et que les élites les fuyaient. Pas faux, se dit notre gars, et le voilà parti sur les Champs un samedi matin, armé de son masque de plongée, pour voir un peu de quoi il est question, ce qui se passe enfin dans la rue, pour constater la colère d'un peuple (ou d'une partie de ses représentants, en tout cas). Il en résulte un reportage in vivo assez chaotique. Si Duras n'avait rien vu à Hiroshima, Bouillier n'a pas vu grand-chose non plus à République. Préoccupé par ses chaussures qui lui niquent les pieds, bien conscient de ne pas "en être" et de passer à côté de l'essentiel, le gars suit de l'extérieur la manif, terrorisé dès qu'un gaz lacrymo explose à 200 mètres ou qu'un pelot court sur le trottoir, son constat est bien amer : oui, il est un intellectuel qui n'a pas grand-chose à faire là-dedans, et si son opinion est faite sur les gilets jaunes (tendance "pour" plutôt), il sent bien qu'il n'est pas fait pour les grands combats. C'est assez drôle, plein d'auto-dérision, et, comme le dit le titre du premier texte, assez déprimant aussi : l'impression que les intellectuels n'accèderont jamais au désarroi du bas, et que leurs mots butent contre la misère sociale, qu'ils sont incapables de décrire. Bouillier en est bien conscient, c'est tout à son honneur : il ne ramènera de son escapade qui a tout d'un Tintin chez les prolos qu'une photo prise par hasard, qu'il trouve gentiment symbolique ; et qu'une image : celle de Charlot dans Les Temps modernes, petite victime sacrificielle d'un système beaucoup trop grand pour lui.

C'est alors qu'arrive le deuxième texte, Un Rêve de Charlot, écrit à la suite d'un rêve fait quelques nuits plus tard. Rêve hyper détaillé, mélange de cul à la Eyes Wide Shut et de délires politico-surréalistes, dont Bouillier questionne les images pour leur faire avouer leur signification... avant qu'il ne se rende compte, de façon un peu cavalière à mon avis, que ce rêve est en rapport avec son aventure dans la manif. Bon, c'est vrai que le lecteur doute un peu, tant les images, aussi précises soient-elles, semblent issues d'un cerveau en totale roue libre ; et on se dit que le gars raccroche à l'arrache ce bon gros rêve plein de sexe, de crasse et de fantasmes torves aux gilets jaunes. Surtout quand il conclue par une phrase de Baldwin, qui lui semble claire comme de l'eau de roche pour justifier le lien avec eux : nous, on le regarde extrapoler sur la chose, en rigolant souvent aux liens acrobatiques qu'il découvre avec un enthousiasme communicatif. Et on retrouve parfois la mauvaise foi, le goût prononcé pour la coïncidence aléatoire et l'humour de l'auteur du Dossier M. Un petit livre sans façon, sans ambition, sans conséquences, mais qui se goûte avec plaisir.

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