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7 août 2019

LIVRE : Lent Dehors de Philippe Djian - 1991

9782736001346,0-814662Lent Dehors fut le premier Djian à me décevoir dans ma découverte énamourée des livres du sieur, il fallait que j'y revienne pour mettre des mots là-dessus. Il faut dire que ce livre a marqué une sorte de tournant dans l'oeuvre de Djian, et que ce tournant n'a pas été forcément une réussite (il s'en est suivi 6 ou 7 bouquins moyens). C'est le dernier publié chez Barrault avant qu'il aille voir vers le plus sage et plus rentable Gallimard, indice peut-être d'une certaine vénalité ; mais c'est surtout dans sa construction et son écriture que ce roman rompt avec les fiévreux 37°2 le matin et autres Echine. Le récit est très morcelé, et Djian s'efforce de mêler passé et présent avec adresse, à coups de flashs-back, de changement de tonalité et de points de vue : il pourrait en résulter un habile exercice de style, et c'est parfois le cas. Mais on ne peut pas s'empêcher de voir ce dispositif comme un peu gratuit, ne répondant pas à une nécessité réelle : le passé n'éclaire pas le présent, le présent ne dit rien de plus sur le passé, et le roman est simplement raconté dans le désordre, sans réel résultat autre que l'impression qu'on veut faire compliqué pour éviter de faire simple. Certes, le livre y gagne en ambition, et acquiert une musique pour une fois générale, pas seulement dans la phrase mais dans le dessein global du roman. Djian passe nettement la vitesse supérieure avec Lent Dehors, joue à l'écrivain, et il a beau inscrire deux fois des règles de vie provocantes et glorieuses quant à son statut d'auteur, il ne dupe personne : il vise clairement la grande littérature, même s'il n'y parvient que de temps en temps, même s'il ne se rend pas compte qu'on attendait autre chose de lui, qu'on l'aime justement pour son dynamitage des règles.

Il y a d'autres changements notables là-dedans : un héros moins en-dehors de tout, plus ancré dans la société ; un ancrage dans le passé, les années 50-60 ; un aspect qui se veut presque documentaire dans le milieu décrit, celui d'une compagnie de danse ; enfin, pour la première fois, un point de vue féminin, qui prend la forme du journal intime de l'ex-femme du narrateur, que celui-ci découvre en secret. Évacuons tout de suite l'aspect documentaire : la compagnie de danse décrite ici est assez ringarde, et Djian balance quelques noms hyper connus, glanés sûrement dans "La danse pour débutants, ses grands artistes, ses figures" en pensant que ça impressionnera le bourgeois. Il se plante complètement, ce sera une de ses seules tentatives de recherche documentaire pour écrire ses livres, et c'est tant mieux. Pour le reste, il y a de temps en temps de très belles choses dans ce roman, certes trop bavard, certes souvent répétitif ou sans intérêt, mais qui de temps en temps réveille nos esprits par une certaine tendresse, ou un côté rock'n roll attachant. Il est question surtout des relations entre Henri-John, fils d'une danseuse, et Edith, fille d'un chorégraphe dans une compagnie glorieuse, relation épineuse mais passionnée à travers le temps. Le récit commence au moment où la rupture éclate entre les deux : Henri-John s'isole au bord de l'océan, s'adonne à la solitude et à la construction d'un escalier tout symbolique, et cette mise à l'écart est l'occasion d'un bilan de sa vie : il revient sur sa jeunesse bien entendu très sexuée en compagnie des jeunes danseuses (toutes belles et nymphos, on ne change pas comme ça en un livre), sur les coups d'éclat dans le duo, sur les grands drames et les fulgurances de sa vie qui ont mené le couple à sa perte. Personnage principal attachant, philosophe dépassé, Henri-John semble avoir récupéré le caractère de tous les personnages passés de Djian, en être en quelque sorte la quintessence. Même si le livre peine souvent à être drôle (un rallye vraiment fendard toutefois), on sourit devant les excès du personnage, devant sa vision de la vie adolescente, devant le romantisme viril de l'auteur qui a du mal à cacher que sa posture face à l'existence est naïvement masculine et guidée par ses glaouis. Le livre se lit finalement avec plaisir, même si Djian aurait amplement pu couper une bonne centaine de pages ou oublier un peu ses rebondissements impossibles. On y retrouve en tout cas ce style unique, cette fois un peu dissimulé sous ses ambitions de faire de la littérature, mais toujours bien là : une façon de faire exister les personnages, de planter quelques annotations sans façon sur la nature, de balancer quelques formules philosophiques drolatiques, d'exagérer dans le lyrisme des dialogues, qui fait qu'on reconnaît le Djian à 30 bornes. Il a beau faire son premier de la classe, on apprécie toujours d'entrevoir l'écrivain qu'on a aimé derrière les jolies phrases. Le roman suivant, Sotos, enterrera définitivement le Djian première période ; celui-ci en garde encore de précieuses traces.

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