LIVRE : Fuck de Laurent Chalumeau - 1991

Pour son premier livre, Chalumeau marque un grand coup et impose définitivement sa voix, à cheval entre la nouvelle génération (les Despentes, Ravalec, Djian) et la tradition (le polar américain grand cru, le pulp). On dit souvent que les premiers livres sont le résultat de 30 années d'expériences de leur auteur, et c'est vrai : il y a dans Fuck tout Chalumeau, depuis sa passion pour le rock jusqu'à son goût pour la littérature de gare, depuis sa fascination pour l'Amérique jusqu'à son ancrage dans le patrimoine français (argot en bandoulière). Le résultat est un livre explosif, barré, qui commence plein de pistes de thriller pour bifurquer tout à coup vers l'essai sur la musique puis livrer des monologues presque abstraits et revenir ensuite vers ses trames polardeuses. Une pute vieillissante qui assiste à un concert, une ado sage qui décide de suivre les consignes de papa et se dévergonde le temps d'une nuit, un ado original embarqué par une bande de brutes pour une séance de torture, le leader d'un groupe de rock miteux mais célébré qui pète les plombs, sont quelques-uns des personnages fictifs du roman, que viennent percuter quelques anecdotes sur Robert Johnson ou Bob Dylan avant de céder la place à une histoire du "wock & woll" (que le bougre fait remonter sa naissance au XVIIIème siècle, diable), à quelques considérations sur des détails mythiques du rock (le sifflet d'un train comme symbole de tout un mouvement). Le moins qu'on puisse dire est que le mélange fonctionne parfaitement : on a l'érudition, le fun de s'entendre raconter des histoires pleines de supense et le plaisir de l'écriture dans un même bouquin. Car tous les ingrédients de la chose sont intéressants. Chalumeau parvient à parler de concepts austères en restant amusant et dynamique, grâce à la force de son écriture, un peu comme a pu le faire Nick Tosches (cité plusieurs fois) en son temps. Son histoire de la musique rock se lit comme un récit d'aventures, et son style très parlé, syncopé, viril comme une chanson de Springsteen ajoute de la couleur à la chose. C'est savant, mais jamais péteux, parce que l'écriture est populaire, surprenante, chaotique, comme si toute cette histoire nous était contée au coin d'un bistrot par un pote très en verve.

Peut-être (c'est le défaut de la plupart des livres du bougre) que la fin du livre est plus laborieuse, Chalumeau n'arrivant pas vraiment à conclure toutes ces histoires qu'il a déployées et commencées dans le livre. On est un peu frustré de ne pas savoir précisément ce qu'il advient de tous ces laissés-pour-compte qu'il a embarqués dans des situations barrées et tendues, ou de ne pas avoir la conclusion de cette histoire du rock. Mais avant ça, on aura pu apprécier toute la gouaille de cet auteur qui a su allier la franchouillardise (c'est cru comme son titre) et l'american-attitude, tout en usant d'une écriture parfaitement musicale et tonique. On reste bluffé par Fuck, et on se dit que le gars, peut-être parce qu'il a choisi la littérature de genre et qu'il s'est dévergondé à la télé (il a écrit les sketches de De Caunes), est le maillon sous-estimé et ignoré de cette génération d'écrivains qui naquit dans les années 80-90.