Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 juin 2021

LIVRE : Vice de Laurent Chalumeau - 2021

9782246824695,0-7312091Chalumeau peut être brillant, mais son goût pour la chose argotique et pour une certaine forme de culture populaire un peu 80's peut aussi le desservir, ce qui est malheureusement le cas avec son nouveau roman, Vice. On reconnaît tout de suite les qualités du bougre dans ce texte d'un rythme trépidant, d'une musicalité très personnelle, d'un humour très cool. Le langage populaire et les arcanes de la langue parlée n'ont plus aucun secret pour notre gars, et il sait maintenant en jouer à la perfection, tricotant un style vraiment spectaculaire et virtuose. Le gars sait trouver des formules qui claquent comme des punchlines, des tournures de phrases hyper punchy, ce qui est d'autant plus méritoire qu'il pratique une langue désormais presque abstraite, à force d'épure, à force de complicité avec son lecteur : c'est à ce dernier de venir combler les vides des phrases, qui se contentent souvent de quelques mots, d'un début de formule, d'une simple esquisse ; le reste "coule de sens" pour ainsi dire, tellement ces formules argotiques sont devenues courantes, sonnent à l'oreille comme un refrain musical. De musique il est justement largement question dans Vice ; et pas la plus courante qui soit : Chalumeau est un gros fan de country, musique qu'il a l'air de connaître sur le bout des doigts tant il abreuve ses pages de références à icelle et de citations de paroles (la plupart du temps hyper sentimentales). Dans les meilleurs moments, ça confère au texte un côté typiquement américain, et du plus profond trou du cul qui soit : on y croise des cow-boys traînant dans les rodéos, des filles fatalistes en Stetson et des longues routes au milieu des déserts, et ça confère au roman de vrais airs d'authenticité. Chalumeau nous fait profiter de son goût pour l'Amérique des rednecks, de sa culture anglophone impeccable, et on lui sait gré de nous amener ainsi dans la ruralité ricaine, toile de fond de son histoire qui y gagne en coolitude. Dans ses moins bons moments, c'est dommage, Chalumeau s'enfonce dans les références, ne sachant pas s'arrêter dans son érudition ; dans ces cas-là, le texte est puissamment chiant, on a l'impression d'un spécialiste qui sort sa culture, et certaines pages ressemblent à de la traduction pure et simple des chansons de country (qui, entre parenthèses, ne sont pas des chefs-d’œuvre de subtilité).

On voit un peu trop bien le but du livre ; rendre hommage à cette musique chérie, et l'histoire n'est qu'un prétexte : la vie sentimentale d'une femme, prise entre trois hommes, chacun ayant son caractère gentiment clicheteux (le bad boy à la puissance sexuelle extraordinaire, le sage et réconfortant homme mûr, l'aventurier fatal à la Eastwood), chacun représentant une tentation pour la brave dame, chacun pouvant être également le prédateur potentiel qui va finir par lui faire du mal. Car en plus de la déclaration d'amour à la musique western, Vice est aussi le portrait d'une femme libérée à l'heure de #Balancetonporc, et on n'attendait certes pas notre Chalumeau sur ce terrain-là : sa vision des femmes est crédible et assez touchant quand il se décide à prendre leur défense, à dessiner femme indépendante qui se joue des hommes et fait de sa vie sexuelle un terrain d'aventures. Un féminisme honorable, vu du côté des hommes, ce qui n'est pas si courant, et montre un auteur ancré dans le monde moderne, même s'il fait mine de parler d'un monde un peu suranné. Dommage que le livre soit enseveli ainsi sous les références et soit plus souvent qu'à son tour étouffé sous son propre style, qui finit par sentir le trop-plein. A trop vouloir en faire, Chalumeau frise l'overdose, et passe à côté d'un beau roman sur les femmes.

Commentaires
Derniers commentaires