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22 mars 2012

LIVRE : Vengeances de Philippe Djian - 2011

Philippe-Djian-Vengeances3Djian est définitivement de retour depuis deux ou trois bouquins. Ne hurlons pas au génie devant cette cuvée 2011, mais clamons sans vergogne l'immense plaisir qu'il y a à parcourir ces lignes toniques, rythmées, balancées comme ces vieux morceaux de rock qu'on connaît par cœur et qu'on retrouve toujours avec bonheur. On a beau connaître les recettes djiannesques par cœur, c'est toujours délicieux d'y revenir, de constater comment il fait tenir une phrase debout, comment il gère sa petite musique personnelle, comment il arrive à insuffler un "groove" unique à l'intérieur de ses phrases. C'est vrai qu'à force de se mettre en sueur à chaque phrase, Djian finit par être un peu prévisible, voire transparent : dans Vengeances, on "voit comment il fait", pour ainsi dire, comme si l'esquisse restait derrière le produit fini. A chaque effet de style, on distingue en fond l'esthète un peu lourdosse qu'il peut être parfois, et tout ça manque de simplicité, de lâcher-prise, comme si l'écriture était devenue une épreuve à inscrire aux Jeux Olympiques. Mais ma foi, quand il arrive à atteindre à un aussi bel équilibre dans certaines phrases, on ne peut que s'incliner et reconnaître que, parfois, le travail a du bon.

Côté trame, on est en terrain reconnaissable : un artiste vieillissant recueille chez lui une jeune gonzesse forcément invivable et sexuée, à la consternation de ses amis ; il faut dire que la fille en question fut la petite amie de son fils suicidé, ce qui ne facilite pas les relations. Personnages djiannesques en diable, situations rocambolesques ou tragiques qui ont toujours fait sa marque, tout cela bien entendu entrecoupé de remarques concernées sur le rôle de l'artiste, le sens de la vie et la difficulté de l'amour, on connaît. Mais ce qui est beau dans le sujet, c'est qu'enfin Djian enregistre son passage dans l'âge adulte : il décrit la jeune fille comme étant de la génération suivante, et c'est troublant de voir comment les héros des premiers romans de Djian (ceux de Zone érogène ou de 37°2, par exemple) sont maintenant regardés comme les "autres", avec leurs hystéries fatigantes et leur beauté. Le roman devient presque une sorte de retour en arrière, comme si le Djian d'aujourd'hui regardait vivre celui d'hier. Ça donne quelques passages très beaux sur la jeunesse, dont celui-ci qui m'a fait exploser de reconnaissance envers mon vieux Djian : "Je n'avais pas la prétention de saisir très clairement les raisons pour lesquelles les générations qui suivaient la mienne désespéraient à ce point de leur héritage, mais ils avaient cette façon de se saouler à toute allure aujourd'hui qui me semblait être une réponse adaptée au contexte et que chacun, jeune ou vieux, pouvait utiliser pour éviter le maximum de casse dans sa porcelaine intérieure" (et tant pis pour la faute de grammaire, c'est devenu une marque de fabrique du bougre que de traiter par-dessus la jambe les règles du Grevisse).

Tant pis si le livre est souvent maladroit (ces alternances entre première et troisième personne qui ne donnent rien, cette trame trop complexe sur la fin) : on y assiste à un numéro d'équilibriste entre le sublime et le grand n'importe quoi (dont un paragraphe sur la grandeur du barbecue, dont vous me direz des nouvelles), entre une belle intimité à la limite de la confession et un humour franchement au taquet (le livre est drôle malgré le fond tragique). Du Djian comme on l'aime, ni plus ni moins, qu'on dévore avec une petite larme à l’œil, qui nous fait ses tours de passe-passe habituels avec toujours la même maestria. Non, vraiment, chouette petit moment.  (Gols 30/06/11)


C'est un Djian qui tient la route avec notre Philippe qui semble en effet accuser le poids des ans : finies les folles parties de jambes en l'air avec des jeunettes - notre homme se fait un principe de ne po toucher l'ex de son fils, belle sagesse... -, la "perdition excessive" dans les drogues ou l'alcool - quelques cuites et sniffages, of course, mais avec parcimonie, le temps d'une soirée, sans trop s'y vautrer au quotidien (la plus belle phrase du bouquin restant à mes yeux : "Quand on s'adonnait à l'alcool et aux drogues, mieux valait mener une vie saine et rester en bonne santé" - rien de mieux qu'un bon footing le lendemain d'un apéro trop poussé, je l'ai toujours dit...), les déclarations fracassantes sur l'Art éternel - notre héros est un genre de plasticien dont les œuvres semblent avoir un don pour s’autodétruire... mouais, comme si le Djian ne se faisait lui-même plus guère d'illusion sur sa postérité littéraire... Mais notre Philou montre encore en effet qu'il a gardé le sens du rythme, qu'il est l'un des seuls à pouvoir trousser de petites phrases de derrière les fagots qui font mouche - un rire nerveux émaille toujours ma lecture surtout quand le gars sort des phrases comme : "De la fin de l'automne au début du printemps, une année il avait nourri un couple de renards qui descendait vers la ville pour chercher sa pitance, avec des croquettes pour chien qu'il mélangeait à du bouillon de poule".), qu'il a toujours un don pour sortir des tournures en collection Blanche chez Gallimard qu'on refuserait à un gamin de sixième ("Martine s'était endormie dans un fauteuil tandis que je patientais au téléphone, pour parvenir à parler aux inspecteurs chargés des recherches, que l'on eût fini de me transférer de poste en poste" (je dis gueuh ??)). La tentative de vouloir alterner première et troisième personne, comme l'a dit Gols, semble tout de même bien vaine (uniquement pour balancer une sorte de vision onirique (le coup du cerf) vers la fin du livre ? Mouais) et la trame bien molle par rapport au titre (Vengeances... et pourquoi pas non plus avec trois "s", genre). Mais, bon, c'est un peu comme Woody au cinoche, on veillera par principe à la sortie de son nouvel opus, fidélité et nostalgie quand tu nous tiens.  (Shang 22/03/12)

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