Images du Monde visionnaire d'Henri Michaux et Eric Duvivier - 1964

Un petit machin expérimental proposé par Henri Michaux, ça ne se rate honnêtement pas, même si le résultat n'est pas à la hauteur de tout le bien qu'on pense du Michaux écrivain. Dans la lignée de ses livres sur les effets de la drogue, le voilà-t-y pas qui se met en tête de nous montrer par l'image la teneur des hallucinations auxquelles il a assistées lors de ses prises de mescaline ou de haschich. On appréciait cette façon à la fois précise et surréaliste dont il rendait compte de ces expériences dans des livres comme Connaissance par les Gouffres, et on se frotte les mains dans les premières minutes, puique le gars s'exprime lui-même pour pointer les limites de ce projet cinématographique : pour bien faire, il faudrait que ce film dure 50 secondes, soit une fulgurance sans contrôle, bien loin de ce qu'est réellement le cinéma : en quelques mots, Michaux définit la notion de temps au cinéma, avec une intelligence franchement ravageuse. Pour ses premiers pas dans ce média, on sent déjà toute la réflexion qu'il met dans le pouvoir de l'image, du temps qui passe, du "rendu objectif", bref, toutes les grandes problématiques éternelles du cinoche.

Bref, passons à la phase travaux pratiques : première partie, la mescaline, avec une succession d'hallucinations à base de formes étranges qui se croisent, se recoupent, le tout sur une musique contemporaine du meilleur effet. Ce qui est beau là-dedans, c'est qu'on reconnaît le goût de Michaux pour les paysages intérieurs, pour ces vastes plaines qui définissent son espace mental : beaucoup de ces plans sont comme des paysages lunaires, abstraits, à base de coulées de boue, d'eau, et de trucs de ce genre. C'est entrecoupé par des effets spéciaux (pas super bien faits), qui accumulent les gros plans, les mosaïques étranges (on a parfois du mal à reconnaître exactement ce qui est filmé). On reste un peu dubitatif sur le rendu, bien qu'on apprécie cette tentative hasardeuse qui donne parfois quelques cadres des plus bizarroïdes, et si l'effet d'hypnose finit par fonctionner (j'avoue être resté hébété une grande partie du film par ces images super-étranges balancées en rafale), on reste un peu mitigé par le résultat. On dirait qu'on est dans le pur cinéma expérimantal un peu vain, alors que le film se pare de données scientifiques. En gros, soit on aurait aimé que Michaux "tombe" carrément dans le surréalisme et la poésie pure, soit on aurait aimé qu'il tranche pour une rigueur scientifique irrépochable ; il est ici à cheval sur les deux, et on ne siat plus trop comment attraper ces images.

Deuxième partie : le haschich. C'est un peu plus intéressant, puisque on y délaisse l'abstraction pour des visions beaucoup plus concrètes. Beaucoup aimé, par exemple, cette succession de motifs sur le thème de la "longueur" : girafes, autruches, ponts suspendus, formes oblongues diverses et variées... Cette partie se rapproche de la peinture, et on apprécie de retrouver quelques inspirations picturales de Michaux, notamment ces formes en bâtons dont il a noirci pas mal de pages dans ses nuits folles. La mise en scène est plus discutable, comme celle de ce procès morbide dirigé par des hommes à masques d'animaux, ou ce plan très "eraserhaedien" sur un type dont la tête est ejectée avant d'être remplacée par un jet de fumée : c'est assez cheap, et un peu premier degré pour parler de l'état de paranoïa lié à l'état du fumeur de base. Mais il y a dans cette partie un petit côté dadaïste qui fonctionne, et peut-être qu'un Buñuel, par exemple, n'aurait pas renié certains plans de cette chose-là. Au final, on finit un peu comme une poule devant un mégot, mais avec l'impression que le film n'est pas exactement ce que Michaux voulait, et qu'on ne fait qu'effleurer le projet.