Henry : Portrait d'un Serial-killer (Henry : Portrait of a Serial-Killer) de John McNaughton - 1986
Un peu embarrassé par ce film, qui me laisse le cul entre deux chaises : d'un côté je reconnais l'ambition du metteur en scène, j'enregistre ses nobles inspirations, et je ne peux que défendre ce cinéma aride ; de l'autre côté, l'ambivalence du discours gène aux entournures, et je n'ai pas envie de ce cinéma-là. Grand souvenir de la colère de Nanni Moretti dans Journal Intime à la vision de ce film, et je crois finalement qu'il a raison de se révolter contre cet esprit de gros malin qui fait mine d'être profond.
Côté bons points, donc, une mise en scène sèche comme un coup de bambou, un style quasi-documentaire, des images crasseuses et impures comme on les aime. On est dans l'école nouvelle vague américaine, celle des premiers Scorsese, avec cette même fascination pour les personnages-bis, cette même terreur/attirance pour la violence extrême. McNaughton filme un personnage opaque qui sème les cadavres, sans plaisir, sans but, sans passion. Si la violence éclate souvent en plein cadre (c'est une des limites du film, Haneke gèrera bien mieux ce style dans Funny Games), elle n'est jamais belle à regarder, ensevelie sous les tonnes de crasses de la ville. La plupart des actes de Henry est laissée hors-champ, comme si on arrivait trop tard, ou comme si on était complètement placés sous la volonté du personnage, qui montre ce qu'il veut quand il veut. Quelques séquences sont d'ailleurs mises en abîme à travers des écrans de télévision ou des images vidéo, l'un des meurtres étant même commis avec une télé comme arme du crime. Si McNaughton se trompe parfois dans la distance vis-à-vis de ce qu'il a à montrer ou à cacher, il parvient tout de même à livrer un film relativement intelligent dans sa forme : en n'expliquant pas les motivations de son personnage, en le privant d'affect, en lui ôtant toute trace de biographie, il confère à Henry : Portrait of a Serial-Killer un style étrange, intrigant, presque expérimental, qui le rend assez fascinant. C'est véritablement un portrait, sans plus, qui ne cherche pas la morale, l'explication psychologique ou l'émotion.
Côté blâmes, toujours cette fameuse ambiguité dès qu'on se met en tête de filmer la violence. En s'interdisant toute réflexion morale, McNaughton tombe souvent dans le travers de l'arroseur arrosé. Il ne veut pas condamner ni admirer son personnage, c'est tout à son honneur, mais il n'empêche qu'on le sent jubiler dans la mise en scène des scènes extrêmes. On pressent le petit malin dans cette séquence vidéo où toute une petite famille est décimée : faire durer les plans, chercher le détail qui va être horrible (l'enfant qui entre dans la pièce pendant que ses parents se font charcuter), utiliser roublardement le hors-champ... Encore une fois, on pense à Funny Games, sauf que Haneke se sert de ces scènes-limites tantôt avec humour, tantôt pour développer une mise en accusation du public lui-même. Ici, rien de tel, juste une séquence vide, qui ne dit rien. Il en va de même dans d'autres séquences, où McNaughton fait preuve d'une pudeur qui convient mal à son projet : le viol d'une jeune fille par son frère est dissimulé avec des mines de fillette (quand Henry intervient pour les séparer, on s'aperçoit que le frère a toujours son slip !,peur de la censure certainement). On ne peut pas vouloir réaliser un film nihiliste et punk et désirer l'argent du beurre en même temps, on ne peut pas montrer et cacher dans le même mouvement. Tel quel, Henry : Portrait of a Serial-Killer est finalement inutile. Brillant, mais inutile. D'où la colère morettienne : ce cinéma est un cinéma de l'esbrouffe, qui fait de la laideur et du simple spectacle de l'horreur un flambeau arty, un cahier des charges imbécile.