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23 juillet 2022

LIVRE : Maudit Manège de Philippe Djian - 1986

M02736000463-largeOn rentre là dans un domaine qui dépasse le livre, qui a plutôt quelque chose à voir avec ma mythologie personnelle. J'ai dormi avec Maudit Manège sous mon oreiller baigné de larmes de bonheur quand j'ai découvert ce livre, le premier Djian que j'ai lu je crois. Inutile de vous dire que ma critique sera positive, et que je ne souffrirai même aucune nuance négative sous peine de provocation en duel. Lire ça quelques 40 ans plus tard, c'est vérifier si on avait encore des doutes, que Djian a été le plus grand écrivain français, pendant 10 ans certes (50 contre 1 : 1981 - Lent Dehors : 1991), mais de manière certaine. Il a apporté en tout cas quelque chose de nouveau dans le paysage français trop marqué à l'époque par le Nouveau Roman, je ne sais pas, un flow, un humour, une manière décontractée d'écrire, une posture. Pour le vérifier, ouvrez ce livre à  n'importe quel endroit : en deux phrases, vous êtes dans un univers cohérent, dans une musique, dans un ton qui n'appartient qu'à son auteur (et à une poignée d'auteurs américains, que le bougre cite d'ailleurs en modèle, Brautigan, Miller, Carver...). Ce qu'on appelle un style, oui, terme que Djian à cette époque revendique avec fierté, pointant plus souvent qu'à son tour la difficulté insensée qu'il éprouve à trouver la phase juste, le bon mood, la note qui fera sonner l'ensemble. L'écriture est une affaire sérieuse pour lui, malgré l'aspect débraillé du livre ; pour le jeune lecteur que j'étais, voir une telle exigence revendiquée dans un livre aussi jeune, aussi cru, était bouleversant.

La trame reprend le personnage masculin de 37°2 le Matin, quelques années après la mort de Betty. Il vit désormais dans les souvenirs, tentant de "faire de son mieux entre les grands moments", en compagnie d'un écrivain plus vieux, Henri. Il est devenu écrivain lui-même, a acquis une solide réputation de jeune espoir rock'n roll de la littérature, mais peine à dépasser ce statut. Les agissements bien entendu hystériques de Gloria, la fille d'Henri (les filles sont hystériques chez Djian, que voulez-vous) conjugués à l'arrivée d'un écrivain à succès dans les parages, et ajoutés à tout le tas d'événements classiques chez Djian (tempêtes, incendies, chutes d'arbres, bagarres...) font de sa vie une aventure, qu'il traverse avec le sourire désabusé de celui qui a tout vu et a acquis une expérience de tout. Si on sort deux minutes du livre, on se rend bien compte que la trame est aussi crédible que le programme écolo de Macron, qu'elle est bourrée de répétitions, qu'elle ne tient pas la route une seconde. Mais comment sortir de cette prose miraculeuse, qui vous attrape dès le début pour ne plus vous lâcher que 400 pages plus tard, exsangue et rassasié ? La manière qu'a Djian de vous tenir captif est incroyable : il ne le fait pas avec la trame, donc, mais avec les personnages, drôles, imprévisibles, et surtout avec le style. On est transporté par les audaces, les contre-points, les sauts de temps, les ellipses, le mélange de mots populaires, crus avec une grammaire acrobatique, savante, presque désuète. C'est en plus franchement hilarant à plein d'endroits, parce que le personnage, bien que petit malin à mort, bien que se situant définitivement au-dessus des autres, se montre bien souvent pathétique et faible. Ce mélange d'honnêteté et de forfanterie dessine un caractère attachant à mort : on rêve d'être un personnage principal de Djian.

Il y a surtout là-dedans une émotion profonde, un regard sur la vie percutant et juste. Le moindre petit détail est l'occasion d'une phrase comiquement lyrique, d'une exagération ronflante, d'une de ces formules too much qu'on dirait tirée d'un recueil de Lao-Tseu ou d'un roman de Kerouac. Djian utilise une palette lyrique pour parler des toutes petites choses de la vie, peut utiliser le mot "bénédiction" ou "miracle" pour parler d'une bière fraîche, peut consacrer 5 phrases bibliques à une femme qui le trahit. C'est génial, parfaitement maitrisé malgré ce que les détracteurs du sieur ont écrit à l'époque, désenchanté pile comme l'époque le veut, romantique, sexy et poilant, c'est tout ce qu'on attend d'un livre quand on a 16 ans. Éternel.

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