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21 juillet 2022

La Nuit des Forains (Gycklarnas afton) (1953) d'Ingmar Bergman

 

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Oui c'est bien par pure coincidence que les titres des deux derniers articles se ressemblent... Romero est quand même un poil en dessous de Bergman, même si on ne peut pas dire que leurs univers soient plus gais l'un que l'autre.

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L'histoire que nous conte Bergman n'est pas en effet d'une joie de vivre délirante : le gros Albert, à la tête d'un cirque en guenille, a pour maîtresse la sublime Anne (Harriet Andersson, plus belle que jamais). Il retourne dans sa ville d'origine ; il est censé y retrouver sa femme et ses deux gamins qu'il n'a pas vus depuis 341gWRmKsyrL ans. Sous un déluge de pluie, le cirque à l'agonie s'installe et les artistes qui ont perdu la moitié de leurs costumes au dernier arrêt tentent de faire malgré tout bonne figure : c'est un peu d'ailleurs toute l'histoire des deux personnages principaux ; malgré les désastres sentimentaux, les doutes, il faut continuer la route et Dieu sait qu'elle est longue. Il y a également au début du film, un court récit en flash-back mettant en scène le clown blanc et son allumeuse de femme : ce dernier va la rechercher alors qu'elle se baigne nue avec des soldats, il la sort de l'eau comme un fou furieux et lorsqu'il la porte sur son dos, crapahutant et chutant sur les cailloux, on a l'impression qu'il porte en fait sa croix - pas la vision la plus olé olé de l'amour: l'amour serait-il un fardeau...? Notre Albert promet à Anne de lui être fidèle et de lui revenir. Seulement ce dernier, lorsqu'il retrouve sa femme, tente sa chance en lui demandant de rester à demeure, fatigué de sa vie de forain : il se fait alors proprement jeter. Même déroute pour Anne qui passe la nuit avec un acteur rencontré dans l'après-midi et qui couche avec lui en échange d'une amulette de pacotille : elle se fait humilier de la même façon par ce coureur de jupon alors qu'elle était également prête à tout quitter pour lui. Notre Albert, après être passé à ça du suicide (excellente scène avec le chat qui s'écrase de plus en plus dans les couvertures devant le geste de son maître - Bergman est définitivement un grand directeur...) reprend la route, en queue de cortège, avec Anne à ses côtés... On revient toujours à ses croquettes Friskies, l'adage a encore raison.

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Albert et Anne tentent de saisir chacun une opportunité pour échapper à cette vie misérable, à ce cirque (celui de la vie bien sûr) qui se traîne de place en place. Mais les deux se retrouveront avec leur solitude, et on pourrait mettre en parallèle la séquence où Anne se retrouve seule dans ce cercle lumineux sur la scène de théâtre avec celle du pistolet qu'Albert rejette dans un même cercle de lumière ; désespoir de l'actrice/femme qui ne sait pas quel rôle elle doit jouer dans sa vie, désespoir de Mr Loyal qui n'a même pas le courage de se tuer et d'abandonner ses troupes. Il faut continuer vaille que vaille, malgré les petites trahisons, les grandes déceptions, les humiliations : cette histoire d'amour est tout ce qui reste en fin de compte à Albert et Anne et ils s'y accrochent pour rester debout. Il s'agit de la première collaboration entre Bergman et Nykvist, association qui continuera pendant de longues années ; certaines images lors de l'histoire en début du film semblent volontairement surexposées - comme si le soleil écrasait et diluait les personnages. Bergman joue énormément avec les miroirs, avec les seconds et les premiers plans comme si les personnages, dans leur relation amoureuse ou adultère, n'étaient jamais parfaitement en phase les uns par rapport aux autres. Bergman avait un grand attachement pour ce film qu'il considérait à cette époque comme son meilleur - le film reçut lui apparemment des critiques assez tièdes ; c'est en tout cas le film qui va ouvrir la grande période des chefs-d'œuvre du gars. Les forains continueront leur longue marche de nuit.   (Shang - 22/11/07)


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Noir de chez noir, ce film empreint de désespoir du jeune Bergman, qui utilise l'allégorie du cirque pour parler de cette salope d'existence, ça va, on n'est pas dupes avec le Shang. Dès le départ, avec cette longue et géniale séquence d'ouverture muette, on est plongé dans le bain tragique : cette histoire de clown blanc récupérant sa femme est en effet éminemment christique, et plonge le film dans un dolorisme renversant. La photo de Nykvist et le sens du cadre de Bergman font de ces plans sur le visage blanc du clown des images inoubliables ; on a l'impression d'un de ces films italiens catholiques à la Pasolini, pleins de soif de rédemption et de décadence, et c'est magnifique. Le reste, même si plus sobre, sera à l'avenant, et en même temps tellement déconnecté de cette étrange introduction que c'est à se demander si celle-ci ne constituait pas un cauchemar fait par son principal protagoniste. Mais c'est la même noirceur, le même constat désabusé que l'existence entière est placée sous le signe de l'humiliation, de la tromperie, du mensonge. Pourtant, tout ça est raconté par le biais du cirque ; certes, un cirque miteux, ruiné, mais tout de même un cirque qui a gardé ça et là des lambeaux de gaieté. En son sein, le couple central se trompe, se ment, se trahit, puis tente de combler ses tares vaille que vaille. En se trompant l"un l'autre, ils tombent eux-mêmes dans d'autres tromperies, si bien qu'on se dit qu'en ce bas monde l'homme reste un loup pour son prochain, et qu'il n'y a d'espoir nulle part. Cette amertume irradie le film, qui dans son esthétique même respire la fin : les visages grimés, sublimement filmés comme des tableaux religieux, son grignotés par l'ombre, l'arrière-plan est désertique et pauvre, tout est marqué du sceau de la mort. Très stylisé jusqu'au formalisme, La Nuit des Forains montre un cinéaste tourmenté, mais qui sait transformer ce sentiment en formes, en motifs, par la force d'une mise en scène (et de dialogues, très forts) déjà en pleine maîtrise. En plus, les acteurs sont parfaits (cet enfoiré de Franz fait une crapule parfaite, Harriett est craquante et émouvante à mort, Grönberg est un cocu bouleversant, et la pléthore de seconds rôles ont tous un truc à jouer, un personnage à défendre), ce qui n'enlève rien à la grandeur de la chose. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas penché sur un Bergman ; c'est comme retrouver un vieux génie. Grandiose.   (Gols - 21/07/22)

la-nuit-des-forains

l'odyssée bergmaneuse est là

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