LIVRE : Janis Joplin de Nathalie Yot - 2020

Fidèle à ses inspirations rock'n roll, Nathalie Yot arrive d'où on ne l'attendait pas avec cette biographie de la plus énergique des chanteuses, Janis Joplin, disparue il y a 50 ans dans un nuage de Southern Comfort et de dope. Un texte où l'on reconnaît sans problème la personnalité de son auteur, malgré la nécessaire objectivité recherchée dans ce type d'exercice. On a là, bien dans l'ordre, bien dans la tradition, le récit chronologique de la triste et courte vie de Janis, avec son lot d'anecdotes, ses fulgurances, ses échecs, ses addictions et  ses amours ; mais Yot parvient là-dedans à creuser son propre sillon et à questionner les thèmes qui lui tiennent à coeur dans ses chansons et dans ses textes : d'où vient l'énergie du rock ? qu'est-ce qu'être une femme dans ce monde viril de la musique ? une vie courte mais libre ne vaut-elle pas mieux qu'une vie longue et bourgeoise ? Janis est le cobaye idéal pour tenter de répondre à ces questions, et on sent peu à peu la gémellité qui se dessine entre les deux femmes, le sujet et l'auteur, par-delà les générations, de la blueseuse braillarde et incontrôlable des années 60 à la dandy littéraire et néo-punk de 2020.

Commençons par les réserves : le livre est un peu prétentieux dans sa forme. Format luxueux, maquette hyper-recherchée, on s'attend à du lourd ; mais la pauvreté et la rareté des photos (que des poses de studio ou de sempiternels clichés de concert sans style) annulent cet affichage clinquant. On aurait préféré lire un livre plus modestement présenté. D'autre part, Yot rate un peu ses premiers chapitres, ceux sur l'enfance et la jeunesse de Joplin : style un peu en recherche encore, parfois même ringard (ces injonctions à Joplin...), moins de compréhension de la psychologie de la dame... Et par la suite, elle a aussi beaucoup de mal à mettre des mots sur la musique elle-même de Joplin : c'est la grande difficulté de ce type d'ouvrage, être critique, analyste, précis sur un style, un caractère, une écriture. Ici, on n'aura pas de notions sur la fabrication du style-Joplin, sur ce qui faisait d'elle une chanteuse extraordinaire par rapport aux autres, et aucune critique sur ses chansons, ses albums. Mis à part le dernier disque, "Pearl", où on a enfin quelques notes sur la musique elle-même, rien n'est dit, et on a l'impression de lire un livre sur une personnalité en général, pas sur une chanteuse. C'est bien dommage, mais c'est courant : mettre des mots sur la musique est chose ardue et abstraite.

Mais notons aussi et surtout les qualités : Nathalie Yot écrit avec un style fort, personnel, percutant, et elle parvient à transformer l'exercice académique de la biographie en un texte vibrant dans tous les sens, de vie, de colères, de joie, d'énergie. Il est bien rare de trouver dans les bios un tel déploiement de style, et dans la deuxième partie, une fois le passage obligé de l'enfance (bien entendu malheureuse) passé, l'auteur parvient à déployer son écriture très sanguine avec toute sa force. Notamment pour faire passer le caractère de Joplin : agaçante, ne sachant pas faire sobre (un mot qui ne faisait pas partie de son vocabulaire, sa consommation d'alcool et de drogues en attestant), capricieuse, too much, mais aussi très attachante dans sa soif inassouvie d'amour, exigente dans son travail, bosseuse, et surtout très en avance sur son temps. Sa bisexualité, son mépris de toute attache, son exigence dans le travail, son affirmation en tant que femme, anticipent les mouvements féministes d'aujourd'hui et les font éclater avec beaucoup plus de force que ceux actuels : Joplin était une femme, et pas la plus conventionnelle qui soit, et vous emmerdait. Yot retrace avec une puissance verbale étonnante les concerts ratés, les déglingues, les disques flous, les amants et amantes qui défilent inlassablement dans son lit sans qu'elle arrive à se fixer, mais sait parler aussi de l'extraordinaire énergie du chant, de ces live en apesanteur, ou de la douceur qu'elle mettait dans ses textes bien souvent autobiographiques. La fin du livre donne la parole à des écrivains et anonymes qui parlent de leur rapport à Joplin, et il y a là quelques textes très beaux, très intimes. Une bonne manière de replacer l'oeuvre de la belle dans le concret de la vie, et dans la légende. Un bien beau texte, au travers duquel on entrevoit aussi le caractère de son auteur, ce qui n'enlève rien au bonheur de la lecture.