Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
13 juillet 2019

LIVRE : John Barleycorn : le Cabaret de la dernière chance (John Barleycorn) de Jack London - 1913

9782369145165,0-5507217Bon sang de bois, voilà un chef d'oeuvre, les amis, cette fois croyez-moi. Je viens de lire deux fois de suite ce livre que j'avais oublié dans l'oeuvre pléthorique du grand Jack, et vous me voyez sur le cul devant la générosité, la sincérité, l'élégance, l'intelligence, l'humour de ce bouquin. Dans un style assez proche de son plus grand livre, Martin Eden, London se livre pieds et poings liés à son lecteur en racontant sa vie entière à l'aune d'une de ses plus fortes tendances : l'alcool. Cette autobiographie alcoolisée est donc un excellent complément à Martin Eden pour comprendre le bonhomme, et revoir cette impression que vous avez sûrement si vous le connaissez mal, d'un jeune gars vigoureux, casquette au vent, troussant des romans faciles entre deux tempêtes et deux attaques de grizzlys. Non, London, ce n'est pas que ça (même si c'est ça aussi) : John Barleycorn nous propose donc de remonter à la source, dès les 5 ans de l'auteur, pour nous faire comprendre qui il est intrinsèquement : un alcoolique, et ce qui l'anime plus souvent qu'à son tour : l'angoisse métaphysique, la peur de la mort, l'inanité de toutes choses, la dépression, et la tendance au suicide qui, on le sait, aura raison de lui en fin de compte. Depuis cet épisode où, tout petit, il s'avale un tonneau de bière qu'il devait apporter à son père, jusqu'à l'écrivain aventurier installé, célèbre, mais rongé par ce mal, London raconte avec une franchise désarmante son amitié/répulsion avec John Barleycorn, incarnation de cet alcool qui le ronge. Pendant une bonne moitié du livre, l'alcool est envisagé comme un lien social obligé, une manière de sociabiliser avec ses contemporains, un passage obligatoire pour être accepté. London y revient sur ses aventures, ses petits boulots, ses voyages comme matelot, sa recherche de l'or au Klondike, très agréable façon de revenir sur ces épisodes fameux et de revoir sa vie en petites vignettes merveilleusement écrites : à chaque fois, le cabaret est le passage obligé si on veut faire partie du groupe. Cette partie est relativement légère, l'alcool est omniprésente dans la vie de Jack mais est plus ou moins dominée par un gusse qui refuse de voir le danger arriver. C'est le catalogue habituel d'anecdotes drolatiques autour de l'ivresse : London connaît bien les risques de se bourrer la gueule, mais traite l'alcool encore comme une force maline capable de vous jouer des tours pendables, y compris quand elle vous pousse à vous suicider par noyade...

Mais ceux qui voulaient juste rigoler un coup entre marins pleins de rhum vont se retrouver un peu gros-jean par la suite. Après ces épisodes de jeunesse, Jack s'attaque au noeud du problème : posé, désormais écrivain adulé, à l'abri du malheur, bien marié et père de beaux enfants, il se croit à l'abri de John Barleycorn. Mais c'est justement là que celui-ci décide d'attaquer le plus violemment. London décrit avec une précision diabolique la spirale qui conduit d'un vague apéro de soirée à un alcoolisme pur et dur. Il y a dans ces pages douloureuses, qui ne sont pourtant jamais ostensibles ou doloristes, quelques paragraphes absolument ravageurs sur la "tristesse qui durera toujours", comme dit Van Gogh, sur l'absolue inappétence à vivre alors que tout nous sourit, sur l'angoisse ultime de la disparition de tout. S'appuyant sur les philosophes sans jamais étaler sa science, le gars nous sert quelques phrases bouleversantes sur le mal qui le ronge (qu'il appelle la Logique grise), sur lequel il s'interroge lui-même avec angoisse (tout en déguisant le tout sous un ton plutôt bon enfant). Dans ce contexte, l'alcool est le meilleur ami et le plus dangereux. Le style de London, qu'on a rarement connu aussi précis et aussi beau, aussi varié et aussi sincère, est au service de cet autoportrait qui ne s'épargne guère, qui déballe tout avec un courage total. Voilà en tout cas le récit où il se met le plus à nu : on y entrevoit le bonhomme, à trois ans de sa mort, en proie à une douloureuse dépression, mais en même temps en pleine conscience de ce qu'il est et de ce qu'il a  été. Que ce soit également un brillant bouquin autobiographique sur un des plus beaux aventuriers de la fin du XIXème n'enlève rien au plaisir pris à cette lecture. Fabuleux.

Commentaires
T
Votre billet est écrit aussi avec un style enlevé! Tout à fait d'accord avec vous sur la présentation par London de l'alcool comme un"rite social" obligatoire pour la convivialité: il n'arrête pas de nous dire qu'il n'aime pas ça,qu'il tient l'alcool comme personne, qu'il s'arrête comme il veut... presque jusqu'aux dernières pages.<br /> <br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Répondre
M
Ben, oui. Quand même. <br /> <br /> <br /> <br /> Et on l'avait oublié...?
Répondre
Derniers commentaires