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Shangols
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9 mai 2019

LIVRE : Les Inéquitables de Philippe Djian - 2019

9782070143221,0-5645588"Respecter une promesse, un engagement, une parole. C’était rassurant quelquefois de tomber sur des gens qui avaient des principes, faisaient preuve de savoir-vivre, qui pouvaient vous faire sentir combien la vie pourrait être facile, attirante, délectable même, si l’on y mettait les formes".

"Sa femme était bien, Charlotte. Sa tarte aux pommes habituelle n'était pas terrible mais il faut dire qu'elle avait qu'une main".

Djian va de plus en plus à l'essentiel sans s'emberlificoter dans des descriptions vaseuses (trois phrases sur des éclairs silencieux et ça suffit pour faire un point météo et paysager), sans s'emmerder avec une quelconque crédibilité comme dans tout polar qui se respecterait au minimum (c'est cool un monde sans flics où les règlements de compte ne sont jamais suivis d'enquêtes – de toute façon, Djian n’écrit pas des polars, il est dans la littérature), ou encore sans perdre de temps à vouloir délayer (le livre est tellement court qu'on pourrait facilement le lire d'une traite dans la salle d'attente d'un dentiste). Des personnages familiers (un type qui a perdu son frère et tombe amoureux de la femme d’icelui - cinquante ans, la donzelle, mais toujours forcément sublime ; un beau-frère torve, une vendeur de piscine-flic torve), des rebondissements à grands coups de meurtres "sanglants" et nous voilà parti pour un énième petit roman mettant en scène un type à la dérive (Marc) qui navigue entre amitiés (fausses) et amours (possibles), entre bonnes rasades de whisky et  quelques pétards, un type qu'on considère parfois un peu trop comme une bonne pâte mais qu'il ne faudrait pas non plus trop chercher... Djian, avec sa ponctuation qui se cantonne depuis plusieurs ouvrages au minimum syndical (point, virgule), livre un récit haletant, rythmé, où il se fait fort de jouer tant et plus avec les ellipses. Que s'est-il passé dans le maigre espace blanc entre ces deux paragraphes ? Trois meurtres et un viol ? Ah oui, ce serait bien que les personnages en discutent en quatre dialogues lapidaires pour qu'on puisse faire le point – on se fout de l’intrigue comme une vieille chemise à fleurs, mais on aime bien être au courant quand même des petits tracas des personnages. On se moque un peu de notre Philou mais c'est toujours de bonne guerre, continuant d'aimer malgré tout sa petite philosophie lyrique sur la parole d'un homme (citation ci-dessus) ou ses petites vannes qui tombent comme un poil de castor dans une soupe canadienne (pas facile de couper les pommes avec une main, c'est vrai). Comme son héros Marc, on serre des fesses pour passer entre les multiples petites turpitudes de la vie, les tentations vaines et les dangereux coups de cœur, mais on garde toujours espoir en une fin sereine et apaisée (comme une bonne bière fraîche savourée au comptoir après une journée ardue). Sauf si le héros meurt avant la fin... Allez, soyons équitable, c'est diablement léger mais ça se lit comme on descend un litre de rhum malgache. Un Djian tranquille qui évoque, mine de rien, une thématique bien dans l'air du temps : les violences contre les femmes, un truc qu'il ne supporte pas, mais alors pas du tout. On est bien d'accord.  Un petit four sans saumon.   (Shang - 22/04/19)


les-phrases-que-vous-ecrivez-vous-disent-des-choses-que-vous-nentendez-pas-tout-de-suiteExcellent cru, ça va sans dire, pour ce petit Djian modeste et discret qui, ô suprise délicieuse, tape cette fois-ci dans la sobriété. Alors attention : sobriété chez Djian veut dire baroque échevelé chez Julien Gracq, hein, on n'est quand même pas des tafioles quand on est un écrivain d'aujourd'hui soucieux de ressembler à un auteur américain. Notre bon compère a toujours sévèrement ancrés dans ses certitudes ses tics fatiguants acquis récemment : on a encore droit à son absence de ponctuation ou d'alinéa (bon sang mais à quoi ça sert ?), à ses phrases parfois bizarrement balancées, et cette fois-ci à une nouveauté qui semble lui plaire beaucoup : les "notations-météo-en-deuxième-phrase". Mon camarade Shang est bienveillant avec l'auteur qui a forgé notre amour des livres, je veux bien l'entendre ; mais au niveau météo, avouons que Djian n'a jamais été aussi prolifique ; d'autant que les notes concernant celle-ci ne servent jamais son propos, n'apparaissant que pour donner une sorte de coda à ses paragraphes, comme un pont musical. Il les place systématiquement en deuxième phrase, dans un effet comique à la longue, genre "Il réfléchit à ce qu'elle venait de dire. La pluie tombait comme une masse sur les bois. Elle était tout ce qui lui restait"... (j'ai pas le livre sous les yeux, mais c'est ça, et un paragraphe sur trois à peu près). Quelques coquetteries d'écrivain gâté toujours à peu près convaincu qu'il est génialement unique, bon, on ferme les yeux, et on s'amuserait presque plutôt à voir cet auteur désormais septuagénaire s'amuser encore avec la langue comme s'il débutait et voulait nous en mettre plein les mirettes.

Bon, mais à part ces gadgets, reconnaissons que cette fois, l'écriture djiannesque nous cueille plus souvent qu'à son tour dans ce court roman qui emprunte au roman noir, au récit psychologique, au polar et au pulp. Le style a rarement été aussi mesuré, tenant même miraculeusement dans les 50 premières pages, denses, passionnantes, cultivant un art de l'ellipse jamais aussi bien maîtrisé malgré les tentatives. Le texte nous donne les informations comme en retard, on a toujours l'impression de débarquer au milieu de quelque chose, en pleine action ; mais on n'a pourtant jamais l'impression que le récit est en avance sur nous : juste celle d'un récit qui se déroule en même temps que notre lecture, gardant ses parts de mystères et ses détails pas utiles à mentionner (une leçon prise chez Hemingway peut-être). L'intrigue est rocambolesque : jamais Djian n'avait autant traité par-dessus la jambe la vraisemblance. Dans Les Inéquitables (pas compris ce titre, au passage), on s'assassine en toute impunité, on peut avoir 15 morts, 2 serial-killer, et 33 trahisons en 150 pages, on peut être vierge à 35 ans et être entouré de femmes fatales (ça, on n'y croit vraiment pas, peut-être poussé le bouchon un peu loin, le bougre), il y a des bimbos manchotes et des paquets de cocaïne qui atterrissent sur une plage, tout passe sans problème tant qu'on comprend qu'on est dans un monde purement fantasmé. Ce qu'est ce livre, à cheval sur l'imagerie américaine classique (les voitures, les paysages, l'intrigue elle-même) et la tradition française (les dialogues) : une utopie de monde parfait, même si plein de violences et de brutalité, que la littérature parviendrait à mettre en place. Comme si Djian, l'âge venant, se laissait aller à son coming-out de nostalgique, et acceptait de nous montrer un peu plus clairement son univers mental fait de voitures rutilantes et de femmes aux gros seins.

A la gloire de notre aîné, ajoutons quand même que voilà bien longtemps qu'il n'avait su dessiner des personnages aussi attachants, qui malgré les absurdités qu'il fait advenir, parviennent à être justes, psychologiquement (et Djian m'assassinerait sûrement pour le terme) et "narrativement". Il réussit d'ailleurs l'exploit de changer de point de vue très rapidement, parfois même au sein d'un seul paragraphe, et à rester cohérent malgré tout, sans que cela entraîne des heurts dans la lecture. On a l'impression que tout va être raconté du point de vue du narrateur, puis, façon Hitchcock dans Family Plot, l'écriture fait tout à coup le focus sur un personnage secondaire, puis finit par se fixer à son regard et nous faire oublier le premier choix, pour mieux ensuite revenir au "thème principal" (leçon prise chez Harrison, peut-être). Bref, la virtuosité certaine du livre n'est pas à chercher dans les effets très visibles mais dans les petites constructions secrètes, ce qui rend ces Inéquitables très attachants. Le livre de la maturité ? à 70 berges ?   (Gols - 09/05/19)

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