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9 mai 2019

L'Adieu à la Nuit d'André Téchiné - 2019

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Ouh dès le départ on sent que ça va être chaud dans ce centre équestre / exploitation agricole du sud de la France : cette éclipse ne fait pas que nous donner un des plus beaux génériques de l'année, mais pourrait bien augurer aussi des jours bien sombres dans la vie (presque) sans souci de Muriel (Catherine Deneuve). Nous sommes au printemps 2015, et si les cerisiers fleurissent, allant même jusqu'à envahir l'écran de ce film solaire, on sait aussi que le printemps sera suivi par l'automne de triste mémoire, où quelques exaltés ont canardé à tout va au Bataclan. Le drame n'est jamais nommé dans le film, mais menace constamment, apparaissant sans cesse dans cette intrigue consacrée à la radicalisation soudaine d'un petit gars sans histoire dans la France d'aujourd'hui. Alex (Kacey Mottet-Klein) débarque pour dire au revoir à sa grand-mère avant de partir au Canada... sauf que ce n'est qu'un prétexte pour venir récupérer fiancée (Oulaya Amamra) et fric pour filer en Syrie apprendre le jihad et donner sa vie à Allah, si possible en faisant quelques morts d'infidèles au passage. Dès son arrivée pourtant, son caractère fuyant, instable, buté, met la puce à l'oreille de mamie, qui va peu à peu découvrir la vérité. Et en tant que dernier rempart familial (le gamin est en conflit avec son père depuis la mort accidentelle de sa mère), que dernier repère social, que dernière branche à laquelle s'accrocher avant de passer du côté obscur, elle va tout faire pour empêcher le départ des tourtereaux... mais vraiment tout.

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Téchiné sait raconter droit depuis quelques films, sans s'embarasser de mille figures de style et de 32000 notations psychologiques. Son film est simple mais parvient pourtant à dire beaucoup de choses sur le désarroi de cette femme forte, qui tient de main de fer son exploitation, face à cette intrusion subite de l'actualité dans son monde fermé et protégé. Enfin, simple... disons qu'il est sobre. Parce qu'il y a quand même un travail hyper précis de mise en scène là-dedans, surtout dans la première heure (la meilleure). Notamment dans cette utilisation fine des rapports de plans : le gars place souvent un acteur très près de la caméra, de profil, et un autre de face plus loin, dans l'autre partie de l'écran, revérifiant de la plus simple des façons les rapports de force des personnages. Beaucoup aimé aussi cette façon de jouer avec la nature, de magnifier complètement le paysage très beau de la côte occitane et cette saison du printemps pour mieux faire couver son drame. A l'instar de ce sanglier destructeur, que Deneuve vient contempler fusil en main toutes les nuits, le mal est au coeur de la nature, qu'elle soit humaine ou non ; mais l'écran est littéralement envahi de fleurs et de couleurs, quitte parfois à masquer complètement les acteurs, et c'est d'autant plus difficile de concevoir que la violence puisse naître dans un espace aussi idyllique. Le gars réussit également une scène en montage parallèle très belle : d'un côté des intégristes qui préparent en secret leurs mauvais coups à grands renforts de prières austères et de visages sévères, de l'autre une famille en train de faire la fête dans le soleil magnifique du soir, et cette danse qui jaillit comme pour conjurer les connards. C'est très beau. Et puis il y a Deneuve, magistrale dans le rôle : elle évite tous les clichés du rôle, et livre une prestation raffinée, délicate, fragile : elle peut exprimer la plus profonde vulnérabilité comme la plus grande maîtrise d'elle-même, sur un visage qui doit pourtant désormais autant à la chirurgie qu'à la beauté naturelle. On retrouve la très grande Deneuve qu'on avait perdue dans ses 800 rôles anecdotiques, et on se souvient que c'est une des grandes actrices françaises, surtout quand elle est dirigée par Téchiné.

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Le film n'en est pas pour autant dénué de défauts : des seconds rôles pas terribles (dont un flic à la fin qui fait grincer des dents tellement il est faux), des scènes inutiles (dont une avec Nollot, vraiment le genre de truc qu'on finit par couper au montage), une certaine fausseté parfois dans les dialogues, et une tendance à délaisser les détails pour ne se concentrer que sur le principal, qui donne parfois des petites choses ridicules : un panier de fruits qui sent bon l'accessoire bien rangé juste avant le "Moteur", des figurants en roue libre, ou une salade de fruits qui sort du frigo prête à être consommée comme si elle était en plastique. Tout ça handicape le film, l'empêche d'émouvoir complètement, le rend trop artificiel pour qu'on puisse vraiment plonger dedans et oublier que c'est du cinéma. Mais Téchiné réussit nombre de scènes casse-gueule, comme la confrontation du petit-fils rebelle avec un intégriste repenti, comme cette fin toute en nuance, comme ces scènes de couple aussi mignonnes qu'effrayantes (les deux petits jeunes s'en sortent aussi très bien, surtout cette Oulaya Amamra, légère et encore plus dangereuse que son amoureux). Alors je vous conseille franchement ce petit film, qui ne restera peut-être pas dans l'histoire du cinéma mais a le mérite de poser les bonnes questions sur un sujet sensible, et de le faire dans une belle mise en scène classique.

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