LIVRE : Ferme les yeux et vois (Hichcock on Hitchcock) d'Alfred Hitchcock - 1995

Un livre fondamental pour tous ceux qui s'intéressent au grand Bouddha, et pour tous ceux qui s'intéressent à la mise en scène tout simplement. Voici un recueil d'articles, d'interviews, de textes théoriques et autres petites nouvelles écrits par Hitch depuis ses tout débuts et jusqu'à la fin de sa féconde carrière. Chacun de ces textes est une merveille d'intelligence et d'humour, certes, mais chacun a aussi cette qualité primordiale de s'intéresser à un des aspects de son travail : direction d'acteurs, écriture de scénario, réflexions sur la lumière, importance de la musique, définitions des concepts de suspense, de progression dramatique ou de cinéma parlant, intérêt du travelling, du plan-séquence, du contrepoint comique, tout y passe et on se retrouve ébahi devant cet éventail complet de l'hitchcockisme. Ce bouquin entre immédiatement dans les livres les plus captivants que j'aie pu lire sur le cinéma, presque à la hauteur du Hitchcock-Truffaut qui pourtant m'a fait passer quelques nuits blanches. Dans un style toujours pince-sans-rire, le maître y livre énormément de clés de son cinéma, le plus captivant étant que, pour une fois, il laisse une grande part à son travail des débuts : il revient longuement sur ses films méconnus, de The Farmer's Wife à Juno and the Peacock, en passant par Waltzes of Vienna, et ne s'arrête pas qu'aux seuls chefs-d'oeuvre reconnus. Qu'il parle de la scène du couteau dans Murder ou de la direction de Peter Lorre, c'est toujours magnifique de précision et d'invention, et ça laisse apparaître une sorte d'obsédé de la perfection, un être presque malade qui ne laisse absolument rien au hasard. C'est surtout quand il tombe sur un interlocuteur valable qu'il laisse éclater son génie : l'interview menée par la revue "Cinéma", qu'il traite un peu de haut au début, s'avère être ce que j'ai pu lire de meilleur sur lui dans l'analyse très précise et sans relâche de ses notions de mise en scène ; le gars se laisse aller à une précision extraordinaire de la construction de ses scènes, revenant sur la joie et la difficulté qu'il a eues à réaliser Rope, parlant décor, lumières et sons d'égal à égal avec son interlocuteur, diablement futé. Mais même quand il est seul face à la page blanche, quand il doit pondre des articles sur tel ou tel sujet, il se montre redoutable et complètement transparent quant à ses intentions et sa théorie : les acteurs considérés comme du bétail, l'obsession des chevelures blondes, l'attirance pour le cinéma américain, son rapport avec la Nouvelle Vague française, toutes ces tartes à la crème trouvent là leur meilleure réponse, et devraient renvoyer ceux qui ne voient en lui qu'un bon faiseur de divertissement à leurs chères études. De divertissement, il est d'ailleurs toujours question dans le livre : pour Hitchcock, le cinéma est fait pour le public, et s'il n'aime pas tel ou tel film, c'est qu'il est raté. Mais ça n'empêche pas une maîtrise impressionnante dans la construction de l'ensemble des films, et une profonde connaissance du spectateur, qui lui permet de l'hypnotiser à loisir et de l'amener exactement où il veut. On passe en revue en sa compagnie l'ensemble de sa filmographie, et on ne pense alors qu'à revoir tel ou tel détail pour vérifier sa façon de nous embobiner. Le tout est fait avec un humour constant, un orgueil démesuré qui va de paire avec une auto-dérision délicieuse, et on a là, dans ces quelques 300 pages, tout Hitchcock sur un plateau. Le tome 2 m'attend sur la table de nuit, mais attendez que j'ai relu déjà une dizaine de fois celui-là avant mon commentaire. Primordial.

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