LIVRE : Dans une Coque de Noix (Nutshell) de Ian McEwan - 2016

Sur le papier, on tique : le roman est une sorte de polar vaudevillesque très classique, genre la femme et l'amant qui complotent pour tuer le mari gênant, sauf que l'intrigue est suivie... depuis le ventre de la femme par le foetus. C'est très discutable, et on imagine les agents effarés supplier McEwan de revoir son script. Mais le résultat est là : le livre fonctionne très bien, et ce concept douteux marque même des points tant il rajoute de l'humour et de la poésie à cette trame hyper-surfaite. Enfermé dans sa "coque de noix", le bébé n'éprouve que quelques sensations, notamment les hectolitres de pinard que sa génitrice engloutit face au stress de la situation. Il déduit, recoupe, enquête, sans rien voir de la situation, uniquement guidé par des impressions, par les bribes de conversation qu'il capte, et par son savoir encyclopédique acquis par les podcasts de conférence écoutés par sa mère. C'est très drôle de voir ce Sherlock Holmes en devenir deviner les tenants et les aboutissants de la trame policière, et surtout anticiper ce que sera sa vie au fur et à mesure des rebondissements de celle-ci. Même si l'intrigue policière est d'un classicisme à faire peur, et qu'on aurait bien aimé un petit rebondissement sur la fin histoire de parachever la chose, on se dit que l'intérêt n'est pas là, qu'il est plutôt dans la perception qu'en a ce non-môme, et surtout dans la description de son univers.

Et de côté-là, McEwan est superbe. Dans un style très littéraire, appuyé par un vocabulaire riche et parfois technique, il rend crédible cette poche pourtant austère dans laquelle végète notre gamin. Il décrit parfaitement les sensations, les impressions qu'on imagine, et ces quelques indices sont autant d'indications frustrantes sur ce qui se passe à l'extérieur. Grâce à elles, il dresse un portrait caustique du petit milieu bourgeois dans lequel il va faire naître son héros. L'érudition du foetus, quant à elle, permet de développer un humour raffiné et absurde éminemment anglais : le langage châtié du môme, sa connaissance déjà bien en place de la culture contemporaine, tranche avec l'imbécillité de ses géniteurs (en tout cas sa mère et son oncle), se rattache à une culture héritée du père, poète un peu ridicule. Les sentiments mélés d'attachement à la mère malgré sa cruauté et à son père malgré sa lose-attitude en font une vraie victime du complexe d'Oedipe avant l'heure. Et même ses "actions" sont habilement pensées : des coups de pied dans le ventre aux moments opportuns, ou même le coup de jarnac final lui permettront de mettre un terme à l'enquête et de punir les coupables. Un roman très amusant et habile.