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23 mars 2020

LIVRE : Une Machine comme moi (Machines like me) de Ian McEwan - 2019

71XEmD1uTWL1982. Le monde est tel qu'il est, les Beatles sortent un nouveau disque, Kennedy a échappé à un attentat à Dallas quelques décennies plus tôt, internet est roi du monde, Thatcher vacille après la défaite des Anglais aux Malouines, et Alan Turing, en pleine forme, met sur le marché sa nouvelle invention : des humanoïdes intelligents. Charlie, le héros du roman, achète justement un de ces "Adam", et expérimente la vie avec une intelligence artificielle... qui ne va pas sans mal, puisque Adam, après quelques réglages, s'immisce dans la vie de Charlie avec la tranquille assurance de la machine programmée pour être la plus efficace possible. Mais peut-on vivre avec un être parfait ? La vie n'est-elle pas justement vivable parce qu'elle est imparfaite, faite de compromis, de mensonges, de petites bassesses, d'injustices ? Notre futur ressemblera-t-il au monde juste, équitable, honnête mais hygiéniste et insupportable d'Adam ou à celui plein de défauts mais plus profond de Charlie ? C'est toute la question de cette uchronie passionnante de Ian McEwan, qui imagine ici un monde juste un peu au-dessus de celui qu'on a connu il y a 40 ans et le questionne en vrai angoissé du progrès : et si nous accueillions des robots et qu'ils n'étaient pas faits pour notre monde ?

D'abord le livre est drôle : la programmation du caractère de ce robot, ses premiers pas vacillants, le hiatus qui existe avec le monde décrit et celui qu'on connaît, créent des situations drolatiques et absurdes irrésistibles. On reconnaît le McEwan satiriste, celui qui sait comme personne créer des situations décalées et crédibles. Ici, c'est par exemple Adam qui couche avec la fiancée de Charlie et s'avère être un merveilleux amant ; puis le même qui, interdit de sexe, se met à créer des haikus vibrants de beauté ou cultive une spécialisation dans les textes de Shakespeare. Une Machine comme moi est d'abord passionnant parce qu'il est drôle et pertinent, dessinant un monde crédible même si imaginaire. Le narrateur est un petit mec tout de bone volonté, avide d'expérience avec son robot, passionné de sciences et admirateur des travaux de Turing, et en même temps concerné par cette sombre histoire de viol de sa fiancée. Histoire qui va emmener notre trio à la Jules et Jim à se remettre complètement en question puis à remettre en question leur morale opposée à celle de leur robot. Parce que, deuxième effet, le livre de McEwan s'assombrit de plus en plus, gagne en profondeur au fil des pages, et plonge peu à peu dans un effrayant roman de SF distopique. Un peu à la manière des mutants robotisés de Blade Runner, les robots ici, terrifiés par leurs choix moraux face à une société qui n'est pas morale du tout, finissent par s'auto-saboter, dans un acte d'une belle tristesse qui finit par marquer le roman d'une mélancolie troublante. La rencontre de Charlie avec Turing est le tournant du livre, qui devient dès lors plus douloureux et plus tendu : Adam devient trouble, dangereux, Charlie moins sûr de lui, sa fiancée plus ambiguë, et cette histoire, partie dans le fun, devient une triste variation sur le genre humain et sa nature bancale. Avec toujours un sens aigu de la narration, qui fait qu'on dévore ces 400 pages avec avidité, McEwan crée un texte parfait, à la fois farce macabre et anticipation pré-apocalyptique, essai sur la psychologie humaine et brillant récit de suspense.

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