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29 décembre 2014

LIVRE : Un Fantôme d'Eric Chevillard - 1995

9782707315380,0-951040Voilà un des derniers Chevillard qui avait échappé à mes lectures passionnées du sieur, et ç'eût été dommage de passer à côté : on est là dans la meilleure veine du sieur, un de ces textes expérimentaux au concept hasardeux qui se transforment peu à peu en brillants et profonds exercices de style. L'idée de base, ici, un peu semblable à celle de Palafox d'ailleurs : dresser le portrait d'un être hybride, c'est-à-dire d'un homme changeant au gré de pages de statut, d'âge, d'identité et de caractéristiques. Voici donc Crab, personnage secondaire et sans intérêt, qu'on va nous présenter en une série infinie de petits portraits pris de biais, tellement inconsistant et nul qu'il en devient une sorte de page blanche propre à tous les fantasmes. Le livre se mange lui-même, se réinvente en quelque sorte à chaque page, puisque Crab peut tour à tour être un vieillard ou un jeune home, être marié ou célibataire, être une vedette ou un anonyme, voire mourir et renaître dans la même page. Un "fantôme", comme l'indique le titre, tellement transparent que tout devient possible de ce que le lecteur et l'auteur peuvent projeter sur lui.

Chevillard tente tout, et réussit tout. C'est le problème : on aurait envie de tout citer, tant le sens de la formule est impeccable, tant on se frappe sur les cuisses à chaque nouvelle trouvaille. Allez, juste une, et après j'arrête  : "Crab a dix ans ressemblait tant à son père qu'il fut souvent battu comme plâtre par sa mère dont il était le portrait craché affirmait son père en le rouant de coups." Mais le livre n'est pas seulement une suite d'aphorismes brillants ; il est surtout un jeu sur l'écriture, sur les possibilités du langage, sur sa force d'évocation ou son échec complet, une réflexion sur le thème du portrait et sur la limite des mots. La langue, aussi élégante soit-elle, peut brusquement se déstructurer, la phrase se mordre la queue et dire le contraire de ce qu'elle disait au début, et c'est assez sonné qu'on referme la chose, convaincu d'avoir encore une fois touché de très près ce qui fait la grandeur de Chevillard : arriver à parler de l'impuissance du langage en l'utilisant dans toute sa splendeur. Furieusement drôle et à la fois pathétique, Un Fantôme est une nouvelle occasion de constater le génie de son auteur, peut-être plus profond que ses saillies sidérantes ne le font penser, et cachant derrière la virtuosité une étrange pudeur. Grandiose.

Commentaires
E
Excellente vision du maître !
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M
Chevillard , moi j'ai décroché après le Hérisson ; trop intello pour moi ;-)
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