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10 avril 2014

LIVRE : Pays perdu de Pierre Jourde - 2003

9782353152339FSSi vos pas vous ont parfois perdu au fin fond d'un village de Lozère, de Creuse ou du Cantal, vous ne pourrez être que renversé par la justesse de ce qu'en rapporte Pierre Jourde dans ce livre à la fois cruel et élégiaque, authentique et rude ; à l'image de la campagne qu'il a choisie de décrire, quoi. Dès les premières pages, nous voilà embarqué au bout du bout d'une route auvergnate, là où se trouve une poignée de maisons abandonnée à elle-même. Le gars s'y rend pour régler les formalités d'un héritage, mais son arrivée coïncide avec la mort d'une jeune fille du village. L'enterrement va être l'occasion pour Jourde de dresser un portrait de ces habitants qu'il a toujours connus, et de se livrer à une sorte de longue apologie de la vie campagnarde, dans tout ce qu'elle a de terrible (cette horreur en faisant justement la beauté).

La campagne, c'est dur, c'est crade, c'est violent, c'est âpre. C'est pourquoi les mots choisis par Jourde le sont aussi. Son livre est un véritable poème consacré à la merde, à la crasse, aux atavismes, déviances et autres tares de ces êtres du fin fond du monde, et ça rape pas mal. Qu'il décrive une de ces mille anecdotes affreuses qui jalonnent la vie paysanne (le gars qui s'arrache le haut du crâne dans un accident, rabat juste la peau sur son front et s'en retourne bosser), qu'il s'attarde sur quelques-unes de ces légendes à base d'adultère ou d'alcoolisme qui font le terreau de ces villages, ou qu'il se laisse aller à ces très belles pages purement contemplatives sur les paysages, il est toujours d'une terrible justesse, écrivant au ras de la terre mais dans une langue jamais "basse", jamais condescendante. Jourde estime que ce pays perdu, aussi sale soit-il, et peut-être même justement à cause de sa saleté, a droit aux mots les plus nobles ; du coup, l'écriture, d'une richesse de vocabulaire fabuleuse, d'un rythme symphonique, est magnifique, très savante, très préoccupée de frapper juste et beau. Elle n'est jamais meilleure que quand elle décrit justement les déviances de ces habitants, physiques (le plaisir de voir son prénom prononcé par la mongolienne qui ne dit jamais rien pourtant) et mentales (les opinions enfoncées dans ces caboches, qui se transmettent de génération en génération). Si la langue peut parfois perdre à force d'érudition, elle retombe toujours sur ses pieds (une langue a des pieds ? passons), et finit par toucher au coeur des choses.

Surtout, derrière tout ce dispositif élégiaque, il y a un motif secret, qui n'apparaît que peu à peu, et même jamais complètement : les origines du père de Jourde sont troubles, et c'est cela seul, finalement, que l'auteur veut attrapper : son identité, les mystères de son appartenance à cette communauté paysanne extrême, sa fierté d'en être, d'avoir des racines ici, dans ce pays de merde et d'alcool. Parler des autres, des paysages, d'un territoire entier, pour parler d'une blessure intime : c'est le secret bouleversant de ce livre, un des plus beaux que j'aie pu lire sur la campagne profonde.

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