LIVRE : "Oh..." de Philippe Djian - 2012
Djian fait sa Virginie Despentes cette année, et on ne l'attendait pas sur les chemins du féminisme, lui qui dressât jadis des portraits de femmes pour le moins "vues du côté masculin" (comprenez hystériques à gros seins). On est un peu inquiet donc de le voir adopter un point de vue féminin (ça ne lui était pas arrivé depuis le funeste Ca c'est un baiser) pour raconter son histoire : une femme dont on apprend vite qu'elle a été violée, mais qui n'en souffre pas plus que ça. Même si elle recherche (mollement) son agresseur, elle se préoccupe plus de la nouvelle maîtresse de son ex ou des déboires amoureux de son fils, et est à deux doigts de reconnaître que son viol lui a fait atteindre un orgasme que son amant du moment a toutes les peines du monde à lui donner. Ouille ! C'est, on le voit, un peu comme marcher sur des braises que de confier au plus masculin de nos auteurs le soin de traiter du sujet. Eh bien, force est de reconnaître que notre gars Djian s'en tire vraiment bien. Ah bien sûr, on déconseillera aux chiennes de garde de s'attaquer au bouquin, et les critiques morales ne devraient pas tarder à tomber sur notre pauvre gars. Mais le fait est : le roman est non seulement tonique et rock'n roll comme il se doit, mais en plus il aborde sainement un sujet politiquement incorrect, avec l'inconscience d'un gamin et la frontalité de qui n'a plus rien à perdre. Du coup, oui, il y a des échos de King-Kong Théorie dans ce portrait de femme qui balance la psychologie aux orties pour secouer le cocotier de quelques idées reçues : peut-on jouir lors d'un viol ? peut-on ne pas porter plainte après ? peut-on s'en remettre ? peut-on (ô scandale !) en faire l'objet de ses fantasmes ?
Pour cette fois, l'écriture est peut-être un peu en-dessous, comme si Djian se retirait un peu, tentait de s'effacer derrière son sujet sans trop la ramener. Les phrases sont toujours très joliment balancées au mieux, inutilement formelles au pire, mais on ne trouvera pas dans "Oh..." les tours de passe-passe de malin que Djian produit d'habitude. C'est un roman presque sage dans son style, le comble (ce qui n'ôte rien à la maîtrise du bazar) ; mais dans ses différents épisodes, dans ses personnages (la narratrice est la mieux campée, mais on aime cette ribambelle de seconds rôles, voisin sexuellement torve, ex fasciné par une Betty Boop de service, mère dominatrice et hystérique, amant nazouille, fils obsédé par la paternité...), dans sa façon de rentrer comme un bélier dans les portes, il force le respect. Les dialogues, de toute façon, fusent toujours aussi bien, les descriptions sont toujours aussi sommaires (mais plus nombreuses, Djian étant apparemment fasciné en ce moment par les écrivains contemplatifs, il cite même Eudora Welty en exergue), ça vous a une gueule d'Hemingway du pauvre tout à fait réjouissante : un joli cru, qui renouvelle agréablement le catalogue djiannesque. (Gols - 22/08/12)
Oh, qui l'eut cru, j'ai bien aimé ce Djian qui, pour se faire punir, s'est vu prendre dans la gueule un prix littéraire. Lu quasiment d'une traite entre deux escales et entre deux Murakami (1Q84 - toute personne voulant me faire parvenir le livre 3 est le bienvenu, enfin faites gaffe, la mer est démontée sur mes côtes), "violant" pratiquement une amie pour ce faire (entendons-nous bien, elle était en pleine lecture et enlever le marque-page d'une personne s'apparente, à mes yeux, à un crime), je me suis fait ce petit opus djiannesque avec un plaisir gourmand. Beaucoup aimé, pour ma part, le côté "anti-modianesque", notre Philou, après s'être interdit tout point-virgule, se faisant un devoir de ne pas mettre d'espace entre deux paragraphes, même quand il passe d'une séquence à une autre. Cet effet "cut", très nouvelle vague, surprend parfois le lecteur qui dévore méchamment l'ouvrage - ouh là, de qui on parle ? - mais ce petit côté zapping finit par produire son effet : tout s'enchaîne à vitesse grand V et l'on est pris dans ce tourbillon de sentiments - celui de l'héroïne - incontrôlés, incontrôlables. Celle-ci est d'ailleurs joliment dépeinte, ainsi que la plupart des personnages d'ailleurs, attachants jusque dans leur défauts, comme au bon vieux temps des Djian en "J'ai lu" - je suis un nostalgique de l'oeuvre du type... Le Phil tend, qui plus est - à une ou deux exceptions près -, à ne pas retomber dans ses défauts de ptit malin qui se la joue oralo-répétitif ("Tu l'as vue la fille là-bas ? Non mais la fille, là-bas, tu l'as vue... ?", genre), ni dans ses coups de théâtre invraisemblables tous les deux chapitres (genre le type qui se fait prendre la main dans une moissonneuse batteuse ou celui qui tue une gonzesse avec un glaçon... Juste, vers la fin et pour le fun, une bonne vieille bûche qui tombe à pic mais sinon, non, rien). Notre bon vieux misogyne qui adore les femmes (...) montre que justement, les femmes, il peut les "sentir de l'intérieur" sans, bien sûr, aucun jeu de mot douteux. Bref une escale littéraire, entre un ouvrage de Murakami plus page-turner que jamais, tout à fait savoureux et bien senti... Pour un compte-rendu de l'histoire, je vous renvoie à mon camarade, une fois n'est pas coutume. (Shang - 05/01/13)