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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
2 septembre 2022

La Lettre inachevée (Neotpravlennoye pismo) (1960) de Mikhail Kalatozov

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Le Vol des Cigognes nous avait coupé un bras, Soy Cuba l'autre, La Lettre inachevée nous arrache le train arrière : mais même avec le tronc restant on est prêt à applaudir debout devant ce nouveau tour de force. Kalatozov nous convie a une petite expédition (ils sont quatre, ils sont braves, ils aiment leur pays) en Sibérie à la recherche d'un filon de diamants. On ne s'attend pas forcément à un parcours de santé, on assistera à une aventure pouvant faire passer Dersou Uzala pour un pique-nique dans les gorges du Pouchelon. Nos hommes (le leader qui écrit à son aimée - le titre du film n'étant en soi guère rassurant... -, un jeune couple de géologues, Tanya et Andrei, et Sergei qui lorgne un peu trop sur Tanya) sont bien déterminés à aller de l'avant et à passer à la loupe rivières et sols sibériens. En théorie, il devrait bien y avoir des diamants dans la région mais à mesure que la quête progresse et que les hommes se retrouvent bredouilles, on se dit que la théorie c'est bien joli (allons, pas de parallèle politique, trop facile...) mais que la réalité, c'est une autre paire de manche... Nos hommes creusent, deviennent de plus en plus hagards et... miracle, oui, un filon est découvert... Ah !? Il suffit maintenant de reprendre contact avec la base et de rentrer à la casa... Oui mais... C'est sans compter sur les ptits problèmes techniques - la base, via la radio, ne les entend plus - et les gros problèmes naturels et climatiques : incendie dantesque, orage dantesque, chute de neige dantesque, bref l'enfer... Le premier tombe, le second épuisé se sacrifie, je ne vous fais pas le compte-à-rebours jusqu'au bout...

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Une aventure extrême, un combat contre les éléments, oui, c'est bien beau mais n'oublions point qu'on est aussi dans un film de Kalatozov : si je dis "incendie", c'est la moitié de la Sibérie qui est en flamme, si je dis "plans de folie" (Sergei Urusevski à la caméra est plus qu'un Dieu en son genre), ce sont des travellings en pleine brousse à deux mille à l'heure, des plongées prises du ciel ou du faîte d'un arbre, des plans-séquences où la caméra virevolte autour des protagonistes, si je dis "musique" c'est des violons à mourir, des zigouillis musicaux qui foutent les pétoches, des cuivres qui pètent les tympans... Ad lib. Chaque plan apparaît comme une réelle prouesse technique sans que jamais cela se fasse au sacrifice des émotions ressenties par nos quatre hommes : joie exacerbée (cette course dans la forêt après avoir découvert le filon coupe plus que le souffle), colère, espoir (un hélico puis un avion les survolent, sauf que... avec la fumée, avec les arbres...), désespoir, pugnacité, sens du sacrifice, delirium... Nos hommes s'accrochent, l'un à l'autre, contre ces troncs d'arbres vaillants, nos hommes progressent coûte que coûte pour pouvoir transmettre à leur chef l'emplacement des diamants, nos hommes tentent de garder la foi même quand tout signe des Cieux semble avoir déserté ces terres désertes...

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Que les flammes envahissent l'écran, que la pluie lamine nos hommes, que le froid les assaille, notre petite troupe qui se réduit au fil des jours tente de maintenir le cap. On souffre avec eux tout en étant constamment ébloui par la beauté de chaque plan, par les mouvements constants de caméra, par l'esthétisme et l'énergie qui se dégage, malgré tout, de chaque séquence. On finit, à l'image des quatre héros, exsangues... Kalatozov est immense, ce n'est malheureusement pas vraiment un scoop...   (Shang - 29/03/12)

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Qu'ajouter de plus fort à l'emballement spontané de Shang, qui est le meilleur pour clamer haut et fort la puissance visuelle de Kalatozov, décidément immense cinéaste de la nature et des hommes en icelle ? Le gars parvient à transcender un film de commande, de propagande même, destiné à promouvoir la grandeur du Chercheur Russe, du Pionnier Soviétique, pugnace, sans limite et courageux comme le roc, en le transformant en élégie, en hymne, en symphonie naturaliste. Il filme les paysages pourtant âpres de la Sibérie en vrai poète amoureux de ce territoire, et les grandes plaines de cailloux, les forêts hostiles, les déserts plats deviennent sous son œil des éléments graphiques d'une immense beauté. Il y a quelque chose de Kurosawa, oui, dans cette façon de filmer la nature comme un élément vivant, comme un vecteur de dangers autant que de beautés, comme un truc qui dépasse l'Humain mais qui l'inclut, comme un personnage presque, fait de chair et de sang tout comme le sont les vrais personnages. Jamais pompeux pourtant, jamais solennel, jamais trop, toujours à hauteur d'homme, il montre cette poignée de survivants aux prises avec les éléments, décimés peu à peu par la nature mais en faisant partie, courageux et solidaires jusqu'au bout. Voir ces pauvres gens empêtrés dans les marécages avec un gars en civière, ou slalomant au milieu des flammes, ou arrivant au bout d'eux-mêmes et du monde en même temps, vous émeut profondément : l'effet propagande y est, mais servi avec une maestria édifiante, un sens de l'espace et de la mise en scène incroyable. Bon, on va hurler à l'unisson avec mon camarade : Kalatozov est grand.   (Gols - 02/09/22)

lcuyx

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