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23 juin 2006

LIVRE : La Tête coupable (1968) de Romain Gary

9782070372041_1_Nouveau roman foisonnant que ce petit bijou de Gary qui nous amène dans les eaux translucides de Tahiti sous le patronnage de Gauguin... Sous une fausse identité, en pleine guerre froide et en période d'espionnite aigue, Gengis Cohn entre deux déclarations sur les aléas de l'humanité, se repaît dans ce paradis terrestre auprès de sa vahiné Maeeva. Il joue à recréer le personnage de Gauguin (peintures et turpitudes...) au grand plaisir du responsable du tourisme qui voit là une attraction supplémentaire pour attirer la populace européenne et américaine... Grandes envolées bouffonnes, sarcasme humaniste teinté de pessimisme ("Humains ou déshumanisés? C'est la même chose"), personnages picaresquesdorfstrasse.in.tahiti.1891_1_ et grandiloquents ou encore -plus rare dans l'oeuvre de Gary- pages lyriques en hommage à la beauté polynésienne [("La source montait de ses profondeurs dans un bouillonnement blanc où s'esquissait pour disparaître et renaître aussitôt les ombres emmêlées des papayers parmi les jasmins et les dahlias..." suivent 2 pages magiques (209-210 en folio)], il y a dans ce roman toute la verve et la jouissance du Romain... Je ne résiste point au plaisir de recopier quelques lignes pour appâter les plus réticents...

On est en 68 et Gary a déjà une vision assez personnelle de la Chine...: "Quelques jours auparavant, Cohn n'avait pas pu résister à la tentation et avait fauché dans une librairie le Mein Kampf de Mao Tsé-toung. Depuis, il était atteint de crampes intestinales et de vomissements qu'il attribuait non seulement au contenu du petit livre rouge qu'il avait eu l'imprudence d'avaler, mais encore à une phrase que Mao avait lancée depuis, du haut de sa grandeur mythologique: "les guerres ne sont que des incidents épisodiques..." Voilà qui suffisait à expliquer pourquoi un homme se mettrait à bouffer symboliquement de la merde, et pas seulement de la bouillie pour chat."

Si le charme des vahinés est proportionnel au mythe, le portrait d'une mannequin sophistiqué et de la froideur de ces femmes de charme pour magazine et défilé n'en est que plus mordant. Gary, en 2006, est bien vivant... (autant que Devos en tout cas...): "Elle lui tendit une main aux ongles manucurés et si longs que Cohn les jugea immédiatement inaptes aux caresses, sinon carrément dangereux. Sur le front de mer, elle paraissait avoir été découpée dans un de ces journaux de mode qui réussissent si bien à transformer les femmes en articles d'une science-fiction pharmaceutique et hygiénique, qu'ils semblent finalement oeuvrer à quelque progauguine4_1_digieuse et imminente réhabilitation de la crasse. Tout était tellement prémédité, calculé, soigné, frotté, recouvert, arrangé et maquillé que la moindre érection là-dedans devait faire l'effet d'une brique lancée dans une vitrine. Le revêtement de crèmes, de parfums, d'essences pour et d'essences contre, de laques et de vernis qui couvrait sa surface, laissait pressentir vaguement d'autres produits de beauté insoupçonnés, enfouis dans ses profondeurs: la seule curiosité sexuelle qui vous restait était de savoir si vous alliez sortir de là parfumé par Lavin, Hélène Rochas, Dior ou Schiaparelli. Au moment sublime, vous aviez la sensation de serrer dans vos mains, dans l'espoir de le réchauffer, un tube de produit de beauté solidifié qui refusait de sortir. Après avoir fini, c'est tout juste si vous ne vous mettiez pas à chercher le capuchon pour le revisser."

Si de longs passages de plaisirs sensuels et sexuels rappellent le Gary jouisseur, d'autres sur l'amour tout court rappellent le Gary désabusé: "Elle se mit à pleurer. Cohn sentit une vague de chaleur lui monter au coeur. L'amour, c'était quand même formidable, ça devait sûrement exister quelque part." Le sens de la formule et du sourire en coin. Toutes les voies mènent au Romain.

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