LIVRE : L'Amour de François Bégaudeau - 2023

Moi, il m'énerve un peu parfois, François Bégaudeau, avec ses ambitions sociologiques irréfutables et son intellectualisme grand crin. L'Amour ne fera rien pour redorer cette image, puisque, outre son titre programmatique ronflant, il s'avère n'être qu'un livre à petits bras, pas puissant pour un sou, et qui ne vous fera l'effet que d'un petit tour certes pas désagréable dans le passé. Rien de plus facile que de faire dans la nostalgie d'un temps oublié, et devenu par là même formidable : il suffit d'aligner les petites madeleines, et d'attendre que la seule mention de ces noms jaillis du passé fasse son effet chez le lecteur avide de mélancolie à bon prix. Le projet ne manquait pourtant pas d'ambition : faire le portrait d'un amour exemplaire, s'étendant des années 50 à aujourd'hui, traversant les années avec, comme tous les amours, ses drames et ses bonheurs, ses vacillements et son bonheur simple. Soit donc les Moreau, deux jeunes gens devenus amoureux, puis mariés, puis vieux : rien de plus banal, mais c'est justement ce que Bégaudeau semble rechercher, la beauté cachée dans le quotidien le plus pragmatique. Pas de grands sentiments, pas de grandes catastrophes, pas de grande démonstration dans cette vie de couple qui ressemble à celle de 90% des gens, à celle de nos parents, à la nôtre. Juste l'enregistrement simple des petits aléas de la vie, et la constatation qu'au bout d'une existence complète, l'amour a été là, a existé, et ne s'est pas démenti. En cette époque de cynisme et de zapping amoureux, le texte fait du bien dans sa croyance en la simplicité de ce sentiment éternel. Et c'est vrai que Bégaudeau parvient bien à toucher la banalité de nos vies, et à la transformer en bouquet de fleurs. Le roman a un aspect sympathique car il est avant tout bienveillant, surtout envers ces petites gens invisibles et discrets, qui construisent leur amour sans se démarquer des autres, mais de façon simple et durable..

Mais trop court, manquant un brin d'intelligence, pas assez profond, se contentant d'aligner les choses de manière trop basique, le roman déçoit assez vite. Bégaudeau a beau tenter de faire son Nicolas Matthieu et de faire une synthèse qui se voudrait pertinente de toute une époque, il ne parvient pas comme lui à tirer quoi que ce soit de son étude de couple à travers la deuxième moitié du XXème siècle. On le soupçonne même de céder un brin à la facilité en alignant ainsi les hochets d'une époque (de Daniel Balavoine à Pompidou) : trop facile de jouer sur l'effet "aaaah ouiiiii Balavoine c'était trop bien, ralala toute une époque" sans en tirer quoi que ce soit d'autre qu'un vain name-dropping. On croit au bout du compte qu'on a été émus, mais on se rend compte qu'on n'a fait que tirer sur la corde de la sensiblerie. Il aurait fallu une autre clairvoyance pour brasser ainsi toute une époque et en dégager quelque chose. Tel quel, le livre ne sert pas à grand-chose.