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23 mars 2022

LIVRE : Ma Cruauté de François Bégaudeau - 2022

9782072963070,0-8308068C'est pas toujours génial, François Bégaudeau, il bâcle souvent ses bouquins ou tombe parfois dans des tics un peu mode. Mais quand comme ici il fait attention à son style, le garçon peut faire des étincelles. Dans Ma Cruauté, on est franchement épaté par le clinquant du style, par cette virtuosité qui semble être naturelle, par ces acrobaties littéraires parfaitement maîtrisées. Je comprends que ça puisse agacer, et que ça puisse virer à la démonstration ; mais franchement, avec un tel plaisir à manier la langue, à parsemer son texte d'allusions fines, de jeux de mots subtils, de figures grammaticales savantes, on ne peut que saluer l’impressionnant travail de Bégaudeau et lui pardonner son goût pour le feu d'artifice. D'autant que cette brillante écriture est mise au service d'une tendance que j'adore personnellement : le cynisme de dandy. Tout est dit dans le titre : le texte est un massacre ricanant des institutions, une posture entre le je-m'en-foutisme et la punk-attitude. Là encore beaucoup vont grimacer devant cette vision nihiliste et assumée de la société, et devant ce positionnement moqueur face à elle ; pour moi, je n'ai cessé de me frotter les mains devant les provocations et les éclats de rire sardoniques de Bégaudeau. Tout n'est pas excellent, c'est vrai, mais dans ses meilleurs moments, le livre parvient à des sommets de ricanements et de justesse.

C'est l'histoire d'un prof de littérature, dans un premier temps choyé par ses pairs qui lui ouvrent les portes de leur revue littéraire pointue. Mais bientôt, à cause d'une petite faute de comportement, notre homme se voit rejeté de tous, et notamment de son collègue et supérieur qui lui met carrément des bâtons dans les roues pour gravir les échelons de la hiérarchie. Il va alors fomenter une vengeance machiavélique, qui prendra la forme de rumeurs sur les réseaux sociaux, d'accusations de harcèlements sexuels et d'utilisation manipulatrice de son prochain. Mais qui manipule qui dans cette histoire à tiroirs, qui dévoile peu à peu un univers impitoyable où chacun est la cible de chacun, où on utilise désormais les choses les plus sacrées (l'amour, le sexe, l'amitié) comme des armes pour détruire? Que ce soit dans l'observation de ces fameux "fils de discussion" genre Twitter ou dans les ambiguïtés du mouvement MeToo, Bégaudeau fait feu de tout bois pour déchaîner ses pulsions féroces de sociologie désabusé. On sent le gars à la fois dépassé par la puissance de ces mouvements et hilare devant leur vacuité. Il en résulte un rire cynique, impromptu, en porte-à-faux, que le narrateur appelle "rire Mercier", et qui va irriguer l'ensemble du texte. Parce qu'on se marre beaucoup aux piteuses aventures de notre universitaire, et pourtant son sort et son comportement sont pitoyables. Mais c'est que Bégaudeau, face à la vie, a l'attitude saine de rigoler plutôt que de se faire un ulcère, ce qui fait que tout, la trahison, le mensonge, l'utilisation des autres, et jusqu'au meurtre, devient matière à s'esclaffer. Non seulement l'histoire est passionnante (pas jusqu'au bout cependant : la fin du livre est bâclée, mal tenue), mais la façon de le raconter est spectaculaire : c'est un prof pointu qui raconte, et ça se sent dans le style élégant jusqu'au précieux. Et Bégaudeau est franchement excellent pour faire parler ce prof dans un style éblouissant, virtuose, parfois trop complexe au vu du sujet, toujours pétillant et drôle. Notre société connectée et hypocrite en ressort lessivée mais elle est rendue avec justesse et sévérité, ce qui ne peut que lui faire du bien. Un livre de styliste, inégal mais délicieux.

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