Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
22 août 2023

De Humani Corporis Fabrica de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel - 2022

capture_decran_2023-01-07_a_10

Vous voulez passer votre master en urologie ? Vous désirez connaître les tréfonds de votre intestin grêle ? Vous trouvez que Buñuel n'est pas allé assez loin avec son œil coupé dans Un Chien andalou ? Vous voulez tout savoir en ce qui concerne le rafistolage de colonne vertébrale explosée ? Vous voulez un tuto sur l'habillage des morts ? Si toutes vos réponses ont été "oui", je vous propose cette plongée (et le mot, pour cette fois, est approprié) dans les arcanes à la fois des hôpitaux parisiens et du corps humain qu'est De Humani Corporis Fabrica. Plongée éprouvante, il faut le reconnaître, mais qui nous fait aborder un cinéma étrange, entre l'expérimental (le caractère abstrait de ces images d'organes en très gros plan) et le documentaire (entre deux endoscopies, voire pendant, on a un aperçu assez dramatique de l'état du milieu hospitalier aujourd'hui). Le premier plan, obscur, étrange, plante le décor : un gardien de nuit sillonne les couloirs de l'hôpital avec son chien. De cette thématique du couloir vont naître quantité de scènes qui sont sans cesse des travellings avant à l'intérieur : intérieur du bâtiment de l'hôpital, avec ces petits vieux désorientés qui errent hébétés, avec ce personnel soignant qui passe de chambre en chambre ; mais surtout à l’intérieur des corps : la majorité de ces plans est constituée d'images d'endoscopie, prises donc par une caméra qui explore les viscères, les cerveaux, les organes, l'infiniment petit et l'infiniment visqueux des éléments de notre chair corps humain.

de-humani-corporis-fabrica-4

Franchement, passés les haut-le-cœur du départ (tant il est vrai que ce n'est guère réjouissant d'assister in vivo à l'opération d'une rétine, au nettoyage d'une verge ou à une opération à cerveau ouvert), c'est fascinant. On obtient avec ces petites caméras des images dignes de 2001, colorées et intrigantes, on met souvent de longues minutes avant de comprendre qu'on observe ici un foie, ici un colon, ici un cerveau, ici une cellule cancéreuse. Armés de leurs instruments proches du plombier (pinces coupantes, visseuses, etc.), les médecins réparent tout ça, observent consternés ou confiants, en devisant de l'état de l'hôpital, déplorable la plupart du temps. Manque de matériel, de personnel, accumulation des heures, amateurisme du personnel (le jeune toubib qui fait tomber sa pompe par terre au moment critique se prend une bonne branlée), on voit bien que notre pôle santé n'est pas au mieux. Pour nous le prouver encore plus, on assiste, en "récréation" de ces scènes parfois difficiles, à une déambulation dans les couloirs d'un EHPAD, où les petits vieux, livrés à eux-mêmes, semblent être d'une autre planète. Le plan le plus édifiant : cette dame, prise pleine face qui hurle sans s'arrêter toute la journée.

37afa8b_251495-3304197

Tour à tour pessimiste et optimiste, le film semble faire le tour des services, montrant une césarienne et une autopsie, le rafistolage de la colonne vertébrale d'un adolescent (l'image la plus saisissante : les radios "avant" et "après". Avant, une colonne qui semble enroulée sur elle-même, après, un rafistolage à la Crash, avec 12000 vis pointus) et l'observation des tumeurs d'une patiente. On est plongés dans une ambiance très étrange, due à la fois à la beauté abstraite de ces images d'organes (on dirait parfois des tableaux de Pollock) et à la dureté de ce qui nous est montré, à la violence de certaines images et au résultat souvent miraculeux et génial obtenu (la césarienne est filmée cash et frontale). Un film scientifique et poétique, c'est assez rare pour le signaler, et qui se termine sur une note sombre et presque inquiétante : une fête des médecins, et le filmage d'une fresque montrant à la fois la mort, le sexe, le cynisme et le côté collégien de ces toubibs qui vivent en autarcie au sein de notre société, qui manipulent les corps et les macchabées sans émotion, mais qui parviennent quand même à être des vrais héros modernes. Fort.

1174394-1200x675

Commentaires
Derniers commentaires