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17 janvier 2020

Une Histoire vraie (The Straight Story) de David Lynch - 1999

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Même à la revoyure, je continue à ne pas avoir grand-chose de bien à dire sur ce film. A l'époque, où la sortie d'un Lynch nous plongeait immédiatement dans une catatonie proche de l'extase, The Straight Story nous avait semblé fade, sans style, mignon mais très éloigné de son auteur. Eh bien c'est exactement la même impression aujourd'hui, surtout qu'après celui-là il en a réalisé encore deux de miraculeux. Rien à redire a priori à cette histoire tout en dignité et en noblesse d'âme : l'âge venant, Alvin Straight décide de se réconcilier avec son frère, qu'il n'a pas vu depuis des années et qui vient de faire une attaque. Mais son honneur lui dit d'entreprendre cette démarche seul, et le seul moyen de locomotion à sa portée est sa tondeuse à gazon, qui fait du 10 kilomètres/heure à tout pêter. Il va donc traverser une bonne partie du pays au volant de son petit tracteur, croisant au passage quelques spécimens d'Américains de souche, une auto-stoppeuse, des cyclistes, une gonzesse qui n'arrête pas de faucher des cerfs sur sa route ou un vétéran de la guerre entre autres. On le sait, le chemin est plus important que son but, et Alvin le sentira bien, lui qui, une dernière fois dans sa vie, peut éprouver le temps qui passe, la douceur de ses contemporains et la beauté du paysage avant de retrouver son frangin.

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Bon, voyez, c'est joli. Et puis Lynch est, ça va sans dire, un excellent metteur en scène, qui parvient à donner à cette tramouillette toute la puissance souhaitée : c'est noble, parce que le vieux Alvin est un personnage attachant, doux, fort, têtu mais sans les clichés du vieillard entêté ; c'est rigolo, parce que la situation est incongrue, et on sourit devant les têtes effarées des gens qu'il croise face à la lenteur anachronique du vieux ; c'est réconfortant, parce que tout le monde est gentil, solidaire, doucement mélancolique ; c'est beau, parce que Alvin traverse un pays encore ancré dans la ruralité, et que c'est bien esthétique ces champs et ces braves gens ; c'est même parfois touchant, parce qu'on voit bien que le film traite aussi de la mort, des choses qu'il faut accomplir quand on la sent venir, et des adieux (l'acteur principal est mort l'année suivante, diable). Lynch traverse une Amérique fantasmée, telle qu'il imagine qu'elle a existé il y a 50 ans, avec ces gens simples mais bons, ces soucis pas très graves et sa philosophie de bon sens (tu veux briser une brindille, pas de problème ; tu veux briser un fagot de brindilles, impossible ; eh bien, tu vois petite, le fagot, c'est la famille ; reprends donc un morceau de jambon Herta), donnant à ce road-movie lentissime une patine classique, presque westernienne dans ses cadres, pastoral en tout cas (ces nombreux plans vus d'hélicoptère sur les beautés du pays). Les acteurs sont impeccables, à commencer par Richard Farnsworth et ses yeux brillants, touchant en diable avec son grand chapeau et ses chemises vieillottes. Mais il faut attendre les seconds rôles pour obtenir quelques petites occurrences lynchiennes : Sissy Spacek excellente en simplette naïve comme une enfant, un couple de jumeaux garagistes qui amènent un peu d'étrangeté au bazar (dont un qui porte une sorte de... comme un... une excroissance (?) sur la joue), ou cette fameuse femme qui écrase des daims qu'on croirait sortie d'un recueil de Brautigan.

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Mais voilà : à part ces quelques petites pointes, le film est franchement dépourvu de style propre, ou en tout cas, de caractère lynchien. Il serait réalisé, disons, par Jerry Schatzberg ou Peter Farrelly, on dirait que c'est du beau travail bien propre. Mais réalisé par ce génie total qu'est Lynch, on s'attend un peu à autre chose, un film d'une autre ampleur, doté d'un autre regard. Il a le droit d'être déceptif, et d'être attiré pas d'autres horizons, je ne dis pas. Mais la nécessité de ce film n'apparaît pas clairement dans sa filmographie, coincé entre Lost Highway et Mulholland Drive. Agréable mais pas primordial, bien fait mais sans caractère, réconfortant mais un peu mièvre, humaniste mais naïf ; un peu comme si Jackson Pollock avait réalisé un tableau académique. Reste cette ode à l'Amérique des petites gens, des sans-dents, des vieux et des pauvres, attachante et irréprochable formellement.

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