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6 mai 2024

Toute la Beauté et le Sang versé (All the Beauty and the Bloodshed) (2022) de Laura Poitras

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Pas d'Oscar la nuit dernière pour saluer ce remarquable travail de Poitras sur la photographe Nan Goldin et c'est bien dommage tant la chose recèle de pistes intelligemment entremêlées : il est en effet question ici à la fois de la vie familiale de Goldin (et le suicide de sa très jeune sœur rebelle et lesbienne), de la carrière de Goldin (photographe très en marge dès le début de sa carrière qui porta notamment un regard sur le monde LGBT) ainsi que de ses propres mésaventures sentimentales et, enfin, de son combat contre l'Empire Sackler, une famille qui sut se faire une réputation mondiale comme mécène des Arts auprès des musées... après avoir construit sa fortune sur les opioïdes (du Valium à l'Oxycontin) causant pas moins d'un demi-million de morts... On suit, par grandes plages séquentielles, cette amitié avec cette grande sœur protectrice et le deuil (impossible - et traumatisant) qu'il fallut tenter de faire, les débuts de Goldin photographe dans le milieu gay et lesbien des seventies (avec le gars Waters en figure de proue et son actrice Cookie), sa participation au mouvement artistique new-yorkais en pleine effervescence dans le quartier du Bowery, les terribles années SIDA et ses camarades qui tombent les uns après les autres, puis donc enfin, en fil rouge, ces manifs dans les plus grands musées du monde pour que les musées refusent l'argent des Sackler et pour espérer voir un jour leur nom disparaître de ces lieux... Des combats, des aventures, qui semblent disparates au départ mais dont Poitras fait peu à peu ressortir les points communs... La passivité (et la responsabilité) des parents de Goldin dans la mort de sa sœur (considérée alors par eux comme une personne atteinte de troubles mentaux), la passivité des pouvoirs publics face à cet empire constitué par les Sackler qui rincent à tour de bras les musées dans le monde tout en refourguant en toute impunité leur came mortelle, mais aussi, quelque part, ce fait, en tant que femme, d'avoir eu à subir la violence de ce mâle lambda (un partenaire, jaloux, qui chercha à lui défoncer les yeux... tout un symbole glauquissime)...

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Goldin, marginale parmi les marginaux, sut au cours de ces dernières années, faire entendre sa voix, dans les milieux artistiques, dans le milieu judiciaire par l'intermédiaire de la création de son association PAIN mais aussi dans ce milieu familial où elle parvint, après un long combat, à savoir toute la vérité sur sa sœur. Marginale, oui, mais ultra combattive sur tous les fronts telle un David au féminin. Poitras, par le biais d'un montage très efficace, sachant passer d'une expo photo à une journée d'action, d'extraits de films à un doc sur les parents de Goldin, en donnant toujours la parole en off à Nan qui se confie avec une grande lucidité et avec une vraie dignité sur les difficiles instants (nombreux) traversés au cours de sa vie, parvient à nous faire revivre à la fois toute une époque artistique et tout l'engagement de Goldin pour faire bouger les frontières... Il n'y a qu'à voir la tête confite des Sackler lors de cette visio-conférence judiciaire tendue (en offrant un dédommagement aux victimes, ils échappèrent à toute poursuite pénale, les enfoirés) pour se convaincre que sa foi, à défaut de faire tomber ces pignoufs, a permis de les faire sortir de leur petit confort moral merdique - avant une autre victoire toute symbolique. Un beau combat sur tous les fronts (belle partie, très touchante, que celle sur les multiples victimes du SIDA) que Poitras une nouvelle fois intelligemment "documente".  (Shang - 12/03/23)

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Intéressant documentaire, oui oui, qui m'a pour ma part fait découvrir une photographe que je connaissais mal. Goldin a traversé toute la période des années 60-70-80, celle propice à tous les excès, celle du punk et des clubs, de la drogue et de la libération sexuelle à tout va, celle du "no future" et de la contestation, mais aussi et surtout celle de la mort, du sida, de l'auto-destruction. Elle documente tout ça par des photos à la fois hyper-naturelles et puissantes, et sans avoir vécu ces années-là, on se retrouve grâce à ce film immergé en plein dans l'ambiance : couples interlopes habillés comme l'as de pique, énergie du rock, jeunes drogués jusqu'aux cheveux, individus transgenres joliment bizarres, et également hommes mourant sur leur lit d'hôpital ou déchéance physique, la dame photographie tout, sans fard, sans filtre, comme ça vient sous son objectif. Le film de Poitras fonctionne d'abord sur ce témoignage, qui fait la plus belle partie du film : on découvre ce travail d'une énergie incroyable en se replongeant dans ce bouillonnement artistique si inspirant, et le catalogue des photos de la dame ne cesse de nous émerveiller. La mise en parallèle avec la propre biographie de Goldin est du coup très pertinente, puisque sa vie chaotique est une porte d'entrée pour la compréhension de son univers artistique. On comprend, en découvrant cette sœur, en apprenant la teneur de ses rapports avec ses parents, en suivant ses péripéties avec ses amants, la part de douleur que Goldin devait exorciser, ce qu'elle a fait dans ses photos. Très bien monté pour éclairer une partie (le travail artistique) avec l'autre (la biographie) et vice-versa, le film opère d'excellents ponts et mises en perspective.

Moins convaincu, je l'avoue, par la partie contemporaine, celle où la photographe lutte pour mettre à bas les funestes Sackler. Cette partie prend beaucoup trop de place dans le film, et est beaucoup moins intéressante dans le sens où elle ne dit rien de plus sur le travail de Goldin, sur ses inspirations, sur son univers. C'est juste un autre film, sur le combat d'une femme pour faire reconnaitre le caractère néfaste d'un médicament sur la santé ; que cette femme soit artiste ou non n'importe pas. On suit mollement intéressé cette suite de happenings et de manifs devant les grands musées du monde, et on se dit que c'est peut-être bien Goldin elle-même qui a imposé à Poitras d'inclure cette partie au film déjà très dense qui existait. Elle est en tout cas hors-sujet selon moi. Sur deux heures de métrage, vous avez bien une heure de passionnante, ce qui est déjà très bien.  (Gols - 06/05/24)

 

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