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19 mars 2019

LIVRE : Les Gratitudes de Delphine de Vigan - 2019

9782709663960,0-5642282Bon, allez, on va dire que c'est un joli livre et on n'en parle plus. De Vigan est une sensible, et sait parfois transformer sa sensibilité en livre profond et beau (Rien ne s'oppose à la nuit). Mais le souci est qu'elle a peu le souci d'être ambitieuse, et écrit depuis quelques temps des textes un peu transparents. Tourmentés, émotifs, justes, certes, mais qui passent comme une ondée et laissent autant de trace qu'elle dans nos esprits. C'est malheureusement le cas avec ces Gratitudes : c'est juste, c'est souvent très émouvant, ça donne un portrait parfaitement pertinent de la vieillesse et ça aborde même parfois quelques sujets assez profonds, comme la perte du langage. Michka est une petite vieille qui ne peut plus vivre seule, et qui se voit donc confiée à un de ces fameux EHPAD. Le roman va raconter sa chute dans la vieillesse, à travers la confusion de plus en plus marquée de son élocution : d'abord quelques mots qui lui manquent, qu'elle remplace par de rigolos barbarismes, puis peu à peu le désordre total, les trous béants dans ses phrases, la fuite inexorable du vocabulaire. On suit cette déchéance à travers le regard de deux de ses proches : Marie, la voisine qu'elle a recueillie enfant et à qui elle a plus ou moins sauvé la vie ; et Jérôme, orthophoniste censé lui faire faire des exercices de mémoire, et qui va bientôt s'attacher à Michka et à son passé. Car, malgré cette perte de l'expression, Michka refuse de mourir avant d'avoir soldé son passé : elle veut retrouver un couple qui l'a sauvée pendant la guerre et lui a évité la déportation. Cette brèche devient la seule chose qui la raccroche à la vie (avec tout de même la curiosité qu'elle a envers Marie, qui attend un bébé, et Jérôme, qu'elle cherche à réconcilier avec un père absent). On voit, en arrière-plan, LE vrai sujet du livre : la reconnaissance qu'on peut avoir envers les êtres, et qu'il importe d'exprimer avant qu'il ne soit trop tard, la nécessité de savoir dire "merci" à ceux qui le méritent.

Beau sujet, oui, et beau personnage. Michka est très joliment dessinée, avec une vraie humanité et une réelle empathie, avec la précision chirurgicale qu'il faut pour retranscrire la parole hachée de cette intellectuelle qui perd peu à peu l'usage des mots. Très dialogué, le livre est surtout constitué de cette grammaire hésitante, parfois dérisoire, parfois douloureuse, par cette lutte de Michka pour retrouver sa dignité à travers les mots, puis à travers son dernier voeu : la gratitude qu'elle doit à ceux qui lui ont évité la mort. Cette femme est regardée par deux témoins sensibles et tristes, qui ne peuvent qu'assister à son déclin. Au niveau des personnages, de Vigan réussit une élégie bouleversante ; il lui suffit d'une petite note sur cette vieille qui attend dans son fauteuil, immobile, ou sur sa curiosité envers ses deux interlocuteurs, pour que le livre sorte du lot commun, et montre un auteur sensible et juste. Mais quand on ferme le bazar, on se dit aussi que le texte ne laissera aucune trace. Manque d'ambition sûrement : l'écriture de de Vigan, aussi sincère soit-elle, manque d'ampleur, reste au ras de la moquette de cette maison de retraite, et peine à raconter autre chose que ce malheur, rate l'universalité. Il y manque une vraie volonté (la nécessité de dire merci ne suffit pas pour faire un livre), une force, une direction. On compatit pour Michka, on reconnaît au passage nos proches, on pleure sa décrépitude, mais comme de l'extérieur, sans l'éprouver, comme une rencontre touchante mais sans conséquence. Comme le langage de Michka, Les Gratitudes disparaît au fur et à mesure de sa lecture.

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