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20 février 2019

LIVRE : Clair Obscur (Blade of Light) de Don Carpenter - 1967

9782366243918,0-5516367Les livres de feu Don Carpenter nous arrivent dans un joyeux désordre en France, mais c'est à chaque fois un vrai bonheur que de plonger dans ce style aux petits oignons et sur la trace de ces personnages déclassés parfaitement attachants. Bon, il est vrai que Blade of Light n'ajoute pas grand-chose à la gloire du maître. Mais on a quand même là un duo de caractères originaux et bien trempés. Faute d'écriture vraiment au taquet, on se contentera de ça, qui est déjà une grande qualité. Oui, parce que, au niveau du style, le gars utilise une très curieuse écriture assez hasardeuse, si bien qu'on se demande si le livre était réellement achevé ou non. Les temps et les personnages se mélangent dans un joyeux bordel, et même au sein des phrases on a droit à quelques acrobaties assez dommageables : phrases souvent trop longues, assez lourdes, parfois bizarrement décousues voire inexactes grammaticalement, on se perd pas mal dans ces circonvolutions. Défaut de traduction, qui n'arriverait pas à rendre compte de ce flux verbal, certes nouveau chez Carpenter ? ou juste un peu de flou dans l'écriture, tout simplement ? On ne sait pas, mais n'empêche qu'il faut s'y prendre parfois à plusieurs fois pour vraiment capter la construction des phrases. Tout comme la construction d'ensemble, d'ailleurs, assez vague, pas toujours très bien tenue, qui peut s'intéresser à un personnage sur 30 pages puis l'abandonner subitement pour décrire un autre personnage parfois secondaire, si bien que le point central du roman échappe un peu. On ne sait finalement pas trop ce que Carpenter a voulu raconter, à cause de ce flou artistique. De ce côté-là, déception.

Mais pour compenser, il faut reconnaître que le gars est toujours excellent pour fouiller la psyché humaine : ses personnages ont quelque chose de profondément humain, et on y croit complètement. Le livre raconte une tranche de vie, ou plutôt deux : celle d'un type déclassé qui sort d'années en HP et tente de reconstruire sa vie, dans l'ombre d'un ancien camarade de lycée qui l'a toujours ignoré voire maltraité ; et celle de ce dernier, matamore en surface et petit garçon brisé en profondeur, victime de son époque et de l'image virile qu'il souhaite renvoyer. Ces deux caractères sont magnifiques, et les situations pathétiques que Carpenter leur fait endosser (la palme à ce gars un peu simplet à qui on fait avaler une boule de billard qui reste coincée dans sa mâchoire, une scène cruelle à mort) sont toujours crédibles et réalistes. Plus qu'un portrait d'une époque et d'une classe sociale, le livre décrit deux hommes (et une foule de personnages secondaires) pris dans leur rapport haine/admiration, transformant son cas particulier en cas universel par la seule force de son acuité. Carpenter comprend les hommes, sait les rendre touchants et minables, puissants et minuscules ; et c'est cette empathie teintée de douleur qui donne toute sa beauté à ce roman : l'impression de croiser des frères humains en la personne de ces gars errants et perdus des années 60, monde qui nous est à peu près inconnu mais que le gars arrive à nous rendre si proche. Un beau livre, au finish, même si pas forcément écrit de main de maître.

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