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28 avril 2012

LIVRE : Sale Temps pour les braves (Hard Rain falling) de Don Carpenter - 1966

Couv-sale-temps-pour-les-bravesOn dirait un titre de roman de gare, mais Sale Temps pour les braves vaut beaucoup mieux que cela. Je suis même franchement sous le charme de ce récit, écrit aussi simplement qu'il raconte des choses implacables. C'est fait par un poteau de Brautigan, un de ces mecs oubliés qu'on ressort de temps en temps de derrière les fagots. Et c'est bien joué : voilà un vrai écrivain, avec une modernité (dans le vocabulaire, dans la liberté de narration) qui bluffe pour l'époque. Voici donc la vie de Jack, petit mec banal dans une vie banale, qui va de galère en échec tout au long de sa triste existence : orphelin, petit délinquant sans envergure, boxeur raté, homosexuel refoulé, toutes ses tentatives pour devenir un homme normal se brisent sur le mur de la crise et de ce chien de destin. La vie d'un loser, oui, c'est ça, qui nous est racontée par le menu, crûment et avec une noirceur absolue ; noirceur qui n'exclue jamais, et c'est là la grandeur du livre, une tendresse et une humanité touchantes pour ces petits personnages de la génération perdue : Jack en premier lieu, mais aussi ses copains de beuverie ou de prison, sa femme (superbe personnage, très fouillé, complexe, attachant et détestable à la fois), et surtout l'autre "héros" de cette histoire, un métis faulknerien, champion de billard grandiose et homme d'exception qui constituera la seule possibilité d'évasion pour Jack. Ce petit monde, toujours crédible, toujours attentivement regardé et croqué avec énormément d'empathie, se débat au milieu de la crise, des bagarres d'ivrognes et de la pauvreté, en essayant de trouver un sens à son existence.

Les plus belles pages sont celles où Carpenter prend le large, s'envole en quelque sorte au-dessus des épisodes de sa trame pour emmener son récit vers une quasi-philosophie de la vie ; philosophie populaire, jamais crâneuse, mais tout de même philosophie, qui envisage la vie comme un combat perdu d'avance si vous êtes né du mauvais côté de la barrière sociale. Beaucoup aimé aussi ces descriptions précises de tournois de billard, où le fric s'échange à toute vitesse, monde de codes que Carpenter rend avec beaucoup de réalisme. Mais c'est la construction et le style qui surprennent le plus : la première parce qu'elle ose le désordre (on ne sait pas, pendant une bonne moitié du livre, qui est vraiment le personnage central, ni exactement ce que Carpenter veut raconter, puis il met tout ça en ordre à mi-chemin en quelques phrases), le second parce qu'il est étonnamment cru (les scènes de sexe), très précis et complètement libéré : la traductrice, Céline Leroy, a su rendre cette rythmique, cette crudité, et la surprise que l'écriture sait parfois ménager (des brusques ellipses, des futurs antérieurs tenus sur plusieurs pages, des façons très personnelles de jongler avec le temps : ici, un héros peut mourir en une phrase, alors qu'il était en pleine forme à la précédente). On pense à Edward Hopper, à John Fante, à John Steinbeck, dans cette façon de décrire l'Amérique par ses petites gens, ses déclassés, êtres solitaires ne sachant plus ni aimer, ni rire, ni espérer en quoi que ce soit, et qui se retrouvent au bistrot pour se battre en attendant mieux, ou au pire au cimetière avec leurs contemporains de misère. On quitte ce roman touché, un peu bluesy, amoureux de ces personnages et de cette écriture. Un vrai bonheur un peu douloureux.

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