Vrai faux Passeport de Jean-Luc Godard - 2006
Le voilà donc, ce fameux film introuvable que JLG avait prévu pour être projeté en boucle à son expo à Beaubourg. Ironie du sort : il n'y a pratiquement aucun plan de Godard dans Vrai faux Passeport, hormis quelques écrans de textes et un ou deux plans pris dans ses propres films. Mais comme souvent dans sa dernière partie de carrière, la mise en regard d'un plan sur l'autre, le mixage entre deux extraits de films qui n'ont a priori rien à voir l'un avec l'autre, constituent en quelque sorte une troisième image, signée Godard indéniablement. Cette fois, le chaos visuel n'est pas au service d'un collage poétique ou d'un discours sur la mort du cinéma. Il s'agit de donner une leçon morale et esthétique (ce qui est souvent la même chose chez notre Jean-Luc) concernant le cinéma, de donner bons points (bonus, super bonus) et mauvais points (malus) à une multitude de plans pris dans des oeuvres de fiction ou de documentaire, voire souvent de télévision.
Un vrai plaisir de faire ainsi un tour dans les admirations et les détestations de Godard. Peu de surprise : Tarantino, CNN, Malraux et Amos Gitaï n'ont pas les faveurs du bougre ; Rosselini, Cocteau, Makhmalbaf ou Hitchcock les ont. A chaque nouveau chapitre (précédé de numéros placés dans le désordre...), on essaye de deviner à l'avance qui va se prendre un coup de règle (et bim, Chantal Akermann, et paf, Elia Suleiman) et qui va avoir le tampon "bonus". Peu à peu, le principe s'estompe, et le dernier quart du film est simplement consacré à la contemplation de longs plans de cinéma. Le didactisme un peu figé du procédé de départ (qui a raison ? qui a tort ?) laisse la place à un emballement des émotions, la numérotation des chapitres s'accélère : Ava Gardner dans La Comtesse aux Pieds nus, ou le cinéma italien dans son ensemble, sont l'occasion de se laisser bercer par la fulgurance de leurs plans, si bien qu'on voit peu à peu que, loin d'être un film sur la détestation, Vrai faux Passeport est un film sur l'amour du cinéma en tant que spectateur, comme ont pu l'être les Histoire(s) du Cinéma, mais avec plus de simplicité, moins d'intellectualisme. Il suffit de voir comment il arrête tout pour laisser filer un très long plan de Vincent Gallo (un des seuls cinéastes récents à avoir un bonus) pour constater combien Godard aime encore et toujours le cinéma aujourd'hui, et sait en relever la beauté.
C'est passionnant, autant le dire, comme si on pénétrait à l'intérieur des rêveries de notre bon vieux gars, remplies de souvenirs de plans, de bribes de films et de flashs d'images. Il exhume certains extraits absolument magnifiques (Les Enfants terribles (si je ne m'abuse), Shoah ou Rosselini) et les regarde simplement avec nous. Pas ou peu de travail sur la pellicule, mais un travail très soigneux de montage. Si de temps en temps, il se laisse aller à ces saturations d'images (sur des rails de chemin de fer notamment, image hypnotique) ou à ces "saccades" d'un plan à l'autre (qui jouent sur la persistance rétinienne), son film reste relativement simple. Il s'agit de revenir à la contemplation, à la puissance du cinéma, et d'oublier tout ce qui en a pollué la pureté : la télé, la violence gratuite et trafiquée, le fric, le spectacle. C'est en tout cas l'illustration parfaite de la fameuse phrase "Le travelling est une affaire de morale", mais aussi de celle qu'il beuglât en 68 à Cannes : "Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travellings et gros plans ! Vous êtes des cons !". On sent que dans chaque extrait choisi, il est en effet question de posture morale : comment filme-t-on la violence du monde ? et sa beauté ? quelle est la responsabilité du cinéaste face au réel ? Du coup : un film très personnel et sensible, autoportrait à travers les images des autres qui interroge notre propre regard sur les images. Vrai beau film.
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