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18 janvier 2015

LIVRE : Kif de Laurent Chalumeau - 2014

KIFAimer Kif, c'est pas bien : voilà de la trash littérature pur jus, du roman de gare, de la chose jetable ; c'est bien simple : on croirait tout simplement qu'il s'agit d'un manuscrit inédit de San Antonio, avec ce que ça induit de gauloiseries, de peu d'exigence sur la postérité du texte et d'humour limite. Mais voilà : Chalumeau manie la langue populaire avec une verve qu'on n'avait pas vue depuis la mort de Dard, et vous trousse aux petits oignons un roman noir grand cru, avec petites pépées, truands du dimanche et flics véreux d'usage. Le grand talent du sieur étant de ne pas jouer du tout sur la nostalgie à la Audiard, mais de planter sa trame les deux pieds dans le monde d'aujourd'hui, travaillant justement la langue contemporaine comme un jeu.

Un gars, ancien CRS un peu louche, hérite d'une boîte de nuit sur la Côte d'Azur. Il va fatalement devoir se fader les vautours qui vont avec, et le catalogue est étendu : flic ripou, anciens videurs furieux de voir leurs trafics de drogue prendre fin, élus corrompus tentant le racket, toiletteuses pour chiens (ah ?), et même pour cette fois une candidate FN aux dents longues qui voit là une excellente croisade pour lui faire monter les échelons de son parti, et deux ou trois salafistes à djellabah rêvant de transformer la chose en mosquée. On met au milieu de ça une mallette d'un million d'euros (appartenant au neveu de Ben Laden, d'ailleurs...), et on regarde le feu prendre aux poudres. Une trame absolument démente et n'importe-quoiesque, qui nous vaudra à peu près toutes les trois pages son lot de rebondissements improbables, de trahisons, de révélations et d'entubages à répétitions. Ne serait-ce que pour ça, Kif se lirait déjà avec ravissement : c'est du très grand divertissement, un truc qui relie la comédie italienne à Kusturica, en quelque sorte, en réunissant des personnages-"tronches" vraiment hilarants. Tous plus ripoux les uns que les autres, ils forment une parfaite galerie de bras cassés, dangereux et cons comme des paniers, minables et funs comme un nanar des années 70. Mine de rien, Chalumeau parvient à monter une intrigue rocambolesque qui tient debout malgré sa complexité et son côté hasardeux.

Mais c'est l'écriture qui finit de nous convaincre du talent du gars. S'appuyant sur les étrangetés de la langue parlée d'aujourd'hui, le livre fait slamer les mots avec un sens du rythme épatant, trouvant une petite musique contemporaine impeccable. Il y a là-dedans un sens de la formule ravageur, on rigole franchement toutes les deux lignes devant les inventions stylistiques du bougre, qui peut aussi bien s'intéresser à la langue tordue des banlieues, avec tous ces barbarismes et ces mots bancals, qu'à celle des institutions, de la télé, ou de Facebook. Il brasse ainsi un chaos de formules comme un long poème pétaradant et coloré, et on ne peut qu'applaudir devant ce sens imparable du groove. Un vrai grand plaisir déviant, une bonne vieille prise de pied avant de revenir à la Littératûûûre institutionnelle.

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