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9 octobre 2013

LIVRE : Capricorne d'Henry Miller - 1934

9782846283380,0-1729545Alleluia ! Exhumé d'on ne sait où, voilà que nous arrive de derrière les fagots ni plus ni moins que le premier jet du chef-d'oeuvre millerien, Tropique du Capricorne, ébauche de 250 pages que le bougre avait laissée en plan pour tout recommencer et sortir le skud en question. On s'attend à une suite de pages éparses et pas très bonnes : c'est une véritable tuerie, qui nous fait retrouver dès la première ligne le Miller qu'on aime, excessif, surpuissant, libre et génial. Capricorne constitue un livre à part entière, qui a d'ailleurs peu de choses en commun avec le Tropique final ; et un livre précieux, puisqu'on peut considérer que c'est le premier grand livre de son auteur (Molloch et Crazy Cock n'étant que de vagues hésitations pas vraiment convaincantes). Les années 30-40 sont les meilleures de Miller, aucun doute, et on n'osait espérer lire encore des choses de lui datant de cette période : gloire aux éditions Blanche et à Christian Séruzier, traducteur talentueux qui parvient à rendre toute la sève de la langue millerienne.

A cette époque, le gars est à Paris, il vient d'écrire Tropique du Cancer, et il est proprement obnubilé par l'absence de June, sa femme-vampire qu'il vient de quitter. Comme dans la moitié de ses livres, il va revenir sur les chaos de cette relation infernale avec elle, passant sans transition d'une petite anecdote à une salve d'injures, d'une plainte amère à une réflexion sur Dostoïevski, d'un délire cosmique à une scène de cul. C'est ça, Miller : une écriture sans frein, en chute libre, qui ne s'encombre d'aucune bienséance littéraire. Le texte est du coup hallucinant, absolument impossible pour tout amoureux de la construction et du grand style : les sujets sont hyper-vastes mais peuvent s'interrompre en plein milieu de leur développement, les sujets "nobles" (DH Lawrence, la guerre, les sciences) y côtoient la merde et le sperme, le style passe de phrases amples et poétiques (le gars est très influencé par les surréalistes et l'écriture automatique, et on a droit ici aux plus beaux exemples des délires "cosmogoniques"  de Miller) à des petits passages simples jusqu'au fonctionnel. Bref, c'est un énorme foutoir de styles, de thèmes et d'inspirations, qui forme un magmas ahurissant, rythmé comme une symphonie de Mahler mais trivial comme un bouquin porno. La puissance du style est déjà plus qu'en place, et on est sidéré de constater comment la langue, à laquelle Miller lâche enfin la bride après des années de baillon, coule déjà avec cette liberté qui fera la marque du gusse. On rigole, on reste bouche bée devant les coqs-à-l'âne et les digressions de 30 pages, on reçoit des coups au coeur à chaque coin de page ; et surtout, on se retrouve face à un réel désespoir qui transpire à travers ce portrait mi-injurieux mi-fasciné d'une femme qui lui a tout pris. On assiste à un auteur en train de naître, et quel auteur : un qui vous insulte, qui vous met le nez dans la merde, qui vous malmène de bout en bout de ce récit/poème/roman/pamphlet, et vous laisse comme une serpilière sur le trottoir au bout du compte. Toutes les lectures sont fades après avoir lu un Miller, mais avec ce texte miraculeux, c'est encore plus vrai. Si vous lisez autre chose dans les secondes qui viennent, considérez-vous comme mon ennemi personnel.

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