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Shangols
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30 août 2013

LIVRES : Esprit d'Hiver (Mind of Winter) de Laura Kasischke - 2013

espritKasischke a beau faire toujours le même livre, elle arrive à ne jamais donner l'impression qu'elle se répète, à nous surprendre à chaque fois. Lire un livre de la dame, c'est plonger à chaque fois dans cette "inquiétante étrangeté" qui ne tient à rien de précis, atmosphères morbides mais indéfinissables qu'elle manie désormais de main de maître. Esprit d'Hiver est un sommet. Comme tous ses autres livres me direz-vous, mais c'est un sommet quand même. Sûrement le plus audacieux de son auteur dans son concept : il est rassemblé sur quelques heures, un seul lieu (presque une seule pièce), et il ne s'y passe à proprement parler rien du tout. Et pourtant, on est entraîné là-dedans comme dans un thriller haletant, et on ressort du truc absolument lessivé, essoré et séché.

Comment résumer le truc sans trahir le suspense ? Disons que nous sommes dans un conte de Noël torve, sur les pas de Holly, mère de famille traditionnelle, petite femme d'intérieur modèle qui pense qu'elle va vivre un réveillon tranquille. Mais la tempête qui sévit dehors, le comportement erratique de sa fille adoptive, l'absence de son mari, les coups de fil étranges qu'elle reçoit, et jusqu'au gigot sanguinolent qui l'attend dans le frigo, tout va contribuer à verser le tableau idyllique de la famille parfaite dans une ambiance délétère, suffocante et dangereuse. Peu à peu, le mystère de cette femme banale va être levé, et ce qui se cache derrière la chaleur de cet univers bourgeois va apparaître absolument terrifiant. Trame presque habituelle de la part de Kasischke, qui adore tordre le cou au Rêve Américain du petit confort pour mettre à jour meurtres, déviances psychologiques et violence. Mais ici poussée à l'extrême, par l'extraordinaire précision de l'écriture : très répétitif à la manière d'un mantra ("Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."), repoussant sans cesse le dénouement jusqu'à l'insupportable, le style est ramassé, très audacieux, prenant des allures de film d'horreur alors même que n'y sont décrits que des faits anodins, sans importance : un téléphone, une robe, un verrou, un gigot, peuvent devenir, par la seule injonction de cette écriture hyper-suggestive, des motifs délétères, effrayants, dangereux, "bizarres".

Mais comment fait-elle ? On voit très bien où elle nous amène, on comprend très bien le processus et la construction (simplissime, c'est ce qui en fait la force) du roman, mais on est pourtant entraîné là-dedans jusqu'à l'étouffement, et on est bien en peine de définir, une fois le livre fermé, ce qui a fait qu'on a fonctionné aussi bien. Kasischke comprend tout des rouages du cerveau et de ceux de la peur, et livre son livre le plus épuré et le plus terrifiant. Maîtrise complète et savoir-faire parfait : Kasischke ne serait-elle pas tout simplement le plus grand auteur américain vivant ? et la plus grande cinéaste de l'horreur depuis Carpenter ?

Commentaires
L
Cette perfection n'est-elle pas un peu trop.. parfaite justement ? Il y a, me semble-t-il (je ne connais que 2 de ses romans) une rigidité interne (adoucie, c'est vrai, par l'aspect poétique des sujets, des images, de la langue) qui fait penser à cette école littéraire américaine issue des ateliers et des classes d'écriture très en vogue et très influents là-bas depuis une vingtaine d'année. Un côté fabrication, efficacité, ce côté très "page turner" comme vous dites, en effet. <br /> <br /> On sent bien que c'est présent, que l'efficacité vient aussi de là. Ceci étant dit et posé, ça n'empêche pas le talent, bien sûr, mais tout ça m'embête quand même un peu.
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C
M. Shangols, nous sommes bien d'accord, votre enthousiasme me fait foutrement plaisir. Je ne manquerai pas à l'occasion de citer les deux dernières phrases de votre papier. <br /> <br /> M. Margotte, on compare en effet les deux demoiselles depuis toujours. Mais JCO, immense écrivain, mais ostensiblement plus ambitieuse (profession : nobélisable ?) expérimente toujours, part dans toutes les directions (pas toujours avec un égal bonheur d'ailleurs) et fatigue parfois tandis que Laura K, comme nous l'explique notre hôte, a écrit douze ou treize fois le même roman (je n'ai pas lu sa poésie) en peaufinant sa méthode et son style. (C'est bien sûr encore plus évident en VO qu'en trad française.) Disons que là où l'ami Carpenter vieillit et perd parfois les pédales... Kasischke approche d'une sorte de perfection clinique.
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M
Il y a aussi Joyce Carol Oates dans le genre plus grand auteur américain vivant.
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L
Je viens de publier mon avis sur mon blog et j'ai ressenti comme toi quand je l'ai lu ! Je n'ai pas lu les autres mais je le ferai sans hésiter !
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M
J'achète.
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