Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
18 septembre 2011

LIVRE : Limonov d'Emmanuel Carrère - 2011

limonov1Je vais hurler avec les loups pour le coup, quitte à être consensuel : Limonov est un grand livre, comme le dit tout le monde depuis quelques semaines. Dans la droite lignée de ce qu'il nous donne d'haitude, Carrère réussit une nouvelle fois une très subtile alchimie entre la grande Histoire et son parcours intime, entre le minuscule et le grandiose. Le projet apparent : raconter la vie de ce fameux Edouard Limonov, écrivain russe, punk et révolté dont le parcours fut on ne peut plus chaotique et ambigu, puisqu'il passera de son aura de Bukowski de l'Est au statut de fasciste, de terroriste pro-Serbes, de prisonnier politique, voire de pédophile ou d'allumé complet ; à travers ce parcours, c'est bien entendu toute l'histoire de la Russie moderne que Carrère décrit, depuis la fin du stalinisme jusqu'à la (future) réélection de Poutine en 2012. Ça, donc, c'est le projet apparent. Mais on connaît désormais le "système Carrère", et on le voit se dessiner très vite : ce livre est en fait une nouvelle fois un "autoportrait en écrivain qui cherche", le gars annonçant d'entrée de jeu clairement la couleur : il entame ce livre pour savoir pourquoi il entame ce livre. La biographie de Limonov sera donc sans cesse entrelacée avec des détails de la vie de Carrère, ses doutes, ses étonnements, sous la forme de parallèles incessants entre son "héros" et lui-même. Chaque événement, la plupart du temps effarant, de la vie de Limonov est mis en regard avec une petite anecdote, souvent très drôle mais beaucoup plus anodine, de celle de Carrère. Une sorte de "work-in-progress" montrant un artiste au travail, inventant au fur et à mesure de l’écriture les raisons pour lesquelles il écrit. C'est aussi et surtout un autoportrait en "petit homme" qu'on découvre avec Limonov : Carrère ne se cache pas de l'admiration qu'il a pour le destin de Limonov (pas pour l'homme, qu'il trouve souvent détestable, mais pour ce destin d'aventurier, de gars qui va au bout de ses idées sans peur et sans faiblesse). La comparaison avec sa petite vie est une des raisons qui lui ont fait entreprendre ce récit : parler de son strict opposé, et de là tenter de parler de lui-même.

Le livre, franchement, se dévore comme un polar. L'écriture est impeccablement rythmée, soutenue, haletante, et Carrère est le maître pour nous tenir pieds et poings liés dans une histoire pourtant ardue (les grandes stratégies géo-politiques des dirigeants russes, la glasnost, les dessous du conflit en Yougoslavie, ce genre de thèmes super-sexy). Son humour et son talent pour trouver toujours le juste regard sur les événements, intime et simple, font passer cette biographie comme un roman de Jules Verne ou une aventure de "Tintin chez les fachos" (deux références souvent citées et qui sont en effet justifiées). Par rapport aux livres précédents du compère, il manque peut-être à celui-ci le sens de "l'instant T", dirais-je (mes conférences sont disponibles en téléchargement), c'est-à-dire le talent qu'il a d'habitude pour nous retourner le cœur en mettant le focus sur quelques micro-secondes qui font basculer une vie. Ici, et malgré quelques tentatives de ce côté-là (les dernières pages, ou un paragraphe sidérant sur les frasques sexuelles de la femme de Limonov), on a plutôt l'impression d'un récit d'une traite, chronologique, presque un peu sage. Rien de la virtuosité de D'autres Vies que la mienne ou Un Roman russe, par exemple. Mais c'est compensé par un sens impeccable de la narration, et par ce parti-pris très original de revenir sans cesse à lui-même, de nous faire partager les errances morales et artistiques de son travail. On termine ces 500 pages à bout de souffle, en ayant partagé pendant quelques heures non seulement la vie d'un aventurier moderne (Limonov), mais aussi celle d'un écrivain (Carrère). Ça vibre de vie, quoi.

Commentaires
Derniers commentaires