LIVRE : Passage des Miracles (Zoqâq al-Middaq) de Naguib Mahfouz - 1970

Naguib Mahfouz nous entraîne dans l'impasse du Mortier avec son lot de personnages qui tentent, souvent de façon pathétique, de se rêver une vie plus belle : la sensuelle Hamida, fiancée au moins mauvais gars de la rue puis courtisée par un négociant marié avant de se prostituer pour le compte d'un riche maquereau de passage; son fiancé, petit coiffeur du coin, qui se retrouve engagé pour ses beaux yeux à la base militaire anglaise avant de revenir pour constater les dégâts; la riche vieille fille qui dépense sa petite fortune pour se trouver un homme de 20 ans son cadet; le tenancier du café qui drague de jeunes éphèbes avant de s'attirer les foudres de sa femme; le jeune Hussein qui claque la porte de ses parents avant de revenir sans le sou et tout penaud avec sa jeune femme; le dentiste le moins cher du quartier qui s'engouffre dans des tombes pour dépouiller les cadavres de leur dentier en or... Autant de petites destinées qui vont de désillusion en désillusion. Point de misérabilisme chez Mahfouz qui se contente souvent d'évoquer l'orgueil ou les simples espoirs de ses personnages avant leur chute. Si miracle il y a, c'est plus souvent au niveau de ces vies rêvées que dans la pratique... Malgré tout, la vie quotidienne finit toujours par remettre à plat les désirs, par mettre au pas les petits délires de chacun. L'écriture est toujours limpide, les descriptions brèves, un style lapidaire pour des destinées inéluctables qui finissent toutes par ré-atterrir dans ce cul de sac. Peut-être pas le roman de Mahfouz le plus haut en couleurs, mais sûrement l'une de ses oeuvres les plus clairement fatalistes, qui n'hésite jamais à souligner l'ironie de ces petites utopies humaines rapidement avortées.