LIVRE : Traversée de Louis Calaferte - 1990
"Moi, le misanthrope, l'homme de retraite, du retranchement, de l'exil volontaire, je suis néanmoins celui qui, avec compassion, vous aime dans le tragique de vos destins."
Le douzième tome des Carnets de Calaferte, comme on le voit, est toujours comme un tomahawk dans ta face. Comme dans ses 11 glorieux prédecesseurs, on retrouve cette intransigence précieuse, cette anarchie salutaire, cette solitude sans concession qui me met toujours tellement en joie. Louis, tu m'as sauvé la vie, il faudra bien que je finisse un jour par le reconnaître. Encore une fois, il touche en plein coeur, là où ça fait mal, là où nos petits compromis d'êtres humains vains deviennent des hontes, là où nous souhaiterions être grands et beaux alors que nous ne sommes que des merdes molles. S'il y en a un qui ne s'est jamais vendu, qui est resté toujours à cette vision spartiate et noble de la littérature, c'est bien le père Calaf. Ses mots sont d'une sincérité désarmante, son introspection toujours fouillée et vraie. On se sent quand même bien petits après la lecture de ces notes fières et en-dehors de tout. Pauvres de nous, qui étions prêts à céder aux sirènes du politiquement correct et de la beauté fabriquée. Traversée est encore une fois une leçon, une mise au point qui, comme chaque année, tombe à point nommé pour remettre un peu les compteurs à zéro. Loué sois-tu, encore une fois, Louis.
Cette année 1990, malheureusement, voit une sérieuse dégradation de la santé du gars, et c'est bien dommage car, entre les virulences d'antan, se glissent des angoisses de la mort, des faiblesses physiques qui handicapent le style violent et ferme habituel. Du coup, Calaferte se tourne de plus en plus vers Dieu, la mystique, l'explication religieuse de la vie et de l'existence. Et là, j'avoue que ce ne sont pas mes passages préférés. Autant j'admire totalement l'intelligence de l'auteur quand il plonge dans les arcanes d'un Kierkegaard ou dans les rapports entre l'art et la vie, autant ses débordements chrétiens me semblent être des fuites, des moyens un peu faciles de justifier une souffrance, une injustice, une peur. Même si ces passages restent très puissants dans l'écriture, ils sont un peu gênants quand on sait que leur auteur a pondu le nihiliste Requiem des Innocents ou le froid Promenade dans un Parc. Mais baste : un homme qui souffre a le droit d'avoir ses points de fuite, et ces morceaux sont amplement compensés par des notes sublimes sur sa femme, sur les fleurs, sur un homme qui rêve dans la rue, sur la peinture ou la création. La violence se tait un peu, l'apaisement arrive, et le silence, et la sérénité. Tant mieux. Il était temps, sûrement, que la haine des hommes se transforme en épurement du regard. Louis, je t'aime.