LIVRE : American Mother de Colum McCann - 2023

Je ne sais pas trop sur quel pied danser à l'heure de refermer ce livre ambigu et dérangeant. Il y a quelque chose de noble dans le projet de McCann, qui décide de s’intéresser au cas de James Foley, jeune journaliste américain assassiné par les membres de Daech devant les caméras, après avoir été gardé en otage et torturé pendant plusieurs années. C'est sur le personnage de sa mère, Diane Foley, que McCann se concentre, pour relayer sa parole : qu'est-ce que ça fait d'être la mère de cet homme, de l'avoir vu mourir sur tous les écrans du monde, de vivre dans ce souvenir-là ? et surtout, qu'est-ce que ça fait de rencontrer son assassin, le livre prenant pour prétexte l'entrevue qu'elle a eue avec "Alexanda", un des bourreaux de son fils désormais sous les barreaux ? L'auteur s'efface devant la puissance du témoignage, qu'il relate avec sobriété et sans faire le malin : il y a chez cette femme une force de résilience assez épatante, une propension au pardon qui en fait une véritable mater dolorosa d'aujourd'hui. McCann a visiblement beaucoup d'admiration pour elle, et se contente de noter, à la première personne, ses réactions, ses sentiments, ses convictions, ses pensées. Bien sûr, on sent derrière l'objectivité de cette parole un véritable écrivain, qui s'interroge en fond sur le fanatisme religieux, sur ce qui pousse les journalistes à affronter le danger, sur la force de survie de ceux qui restent. Très bien écrit, le livre, même s'il est entièrement consacré au témoignage de Diane Foley, est bien un livre de McCann, qui parvient à rendre cette parole fluide, puissante, intéressante.

Mais ce qui gène là-dedans, c'est que cette femme, aussi courageuse et forte soit-elle, passe aussi plus souvent qu'à son tour pour une réac légèrement conservatrice et bigote, pour une "American Mother" en plein : peu sympathique, se laissant aller parfois (et elle en a bien le droit, la pauvre) à des réflexions très douteuses sur la liberté, sur le pouvoir des puissants, sur la vengeance et l'importance de la punition, Foley est avant tout une croyante fervente, dont le fils a eu le malheur d'être tué pendant le mandat d'Obama ; ce qui fait du président américain un ennemi personnel (qu'elle apprend un peu à apprécier avec le temps, certes), porteur de toutes les rancunes de la dame. Trump, quant à lui, résout par magie ses soucis. Comprenons-nous bien : elle a le droit d'avoir ses opinions, ses croyances, ses positionnements politiques et moraux (toute la partie sur les raisons qu'on a ou pas de payer des rançons pour faire libérer les otages) ; mais on se demande si McCann a bien conscience de ça, qu'il est en train de faire un livre sur une femme de droite. Peut-être aurait-il fallu ajouter à ce témoignage un contre-point plus philosophique, moins impliqué, moins sanguin : la parole de Diane Foley est certes toute de douleur et d'introspection, mais est peut-être un peu trop "le nez dedans", trop "sentimentale". Quoi qu'il en soit, le livre est très souvent passionnant et pose de vraies questions sur l'empathie, sur l'humanisme, sur le courage qu'il faut pour survivre à l'horreur.