LIVRE : Lettres à un jeune Auteur (Letters to a young Writer) de Colum McCann - 2017

Ok, certes, l'impératif très ostensible choisi par McCann dans ces lettres apparaît comme une forme d'injonction qui peut agacer les auteurs qui pensent qu'un bouquin se pond en 15 jours sur un coin de table. Ok, on peut penser que si on prend tous ces conseils à l'envers, on peut arriver à pondre Les Chants de Maldoror ou Tropique du Cancer. Ok, on peut douter, à lire certains romans de McCann, qu'il ait vraiment mis en application ces injonctions (Transatlantic, brrr). Ok, le livre peut passer pour prétentieux, supérieur, réac. J'admets toutes ces critiques, en notant au passage que ceux qu'il énerve le plus sont les plus mauvais écrivains. Mais à la fin de ce bouquin rageur et flamboyant, on se dit quand même que si les écrivains respectaient ne serait-ce qu'un quart des conseils de Lettres à un jeune Auteur, la littérature en sortirait sûrement grandie. Le credo de McCann, c'est : le travail, fils. Ecris. Et quand tu ne sais pas quoi écrire, écris quand même. Et si vraiment tu ne vois pas du tout ce que tu pourrais écrire, écris quand même. Loin de tout glamour, de toute posture, le gars envisage l'écriture comme une ascèse ardue, difficile, qui se gagne avec une infinie patience, avec des échecs successifs, et surtout loin des considérations sociales. Pas de nombrilisme possible dans l'écriture (pim, l'auto-fiction et l'ensemble de la littérature française), pas d'à-peu-près, pas de vaine gloriole, pas de relâchement : si tu veux pondre un chef-d'oeuvre (et on est bien d'accord que si tu ne veux pas en pondre un, inscris-toi plutôt au badminton), il faut te consacrer corps et âme au taf, avant, pendant et après.

Avec une logique imparable, patiemment, méticuleusement, à travers de courts chapitres très rythmés, McCann fait un peu le tour de tous les aspects du métier d'écrivain, depuis le choix de la ponctuation jusqu'à la posture à adopter face aux critiques, depuis les conseils de livres à lire pendant l'écriture juqu'au choix de ces fameux "ateliers d'écriture", depuis la fluidité du style à atteindre jusqu'à la lettre à adresser à l'éditeur. Et à travers ces conseils, ces ordres, on voit apparaître l'auteur lui-même aux prises avec son métier, qui questionne le sens de son travail, qui revient sur ses échecs et ses manquements. Il y a là-dedans une vision tout en exigence du travail de l'écrivain qui fait chaud au coeur. Ça rappelle les déclarations énamourées à la littérature de Djian dans Ardoise, avec un petit côté professoral en plus, et avec Ulysse de Joyce brandi comme le sine-qua-non des chefs-d'oeuvre mondiaux. En tout cas, on peut ouvrir le bouquin à n'importe quelle page, on est frappé par la justesse de ce que raconte McCann, et, mine de rien, on est à deux doigts de prendre la plume et d'essayer, en suivant scrupuleusement ces ordres, de pondre enfin notre Adieu aux Armes à nous. Exaltant pour les uns, donc, et démotivant pour les nullards qui squattent les têtes de gondole des librairies, c'est déjà ça de pris.