Smoke Sauna Sisterhood (Savvusanna sõsarad) (2024) de Anna Hints

On continue gaiement dans notre série femmes (nues) entre elles : embarquement pour l'Estonie dans ces fameux saunas dits "sacrés" où les femmes, décontractées du banc, suent et se livrent tant et plus. Hints nous fait ressentir à la fois tout ce qu'il peut y avoir d'ambiance cosy, cocoonesque, dans ces saunas estoniens, où l'on soigne apparemment aussi bien le corps (un bon coup de branchage dans les reins, ça détend sa femme) que l'âme (quelques petits moments incantatoires pour expurger les esprits du mal nous sont montrés) mais également en quoi cet endroit permet aux femmes de totalement se libérer : une libération totale de la parole s'y déroule, comme s'il s'agissait d'une sorte de "purgatoire" de l'âme féminine ; seront évoqués aussi bien les petits problèmes de l'adolescence, cette interrogation que se posent les femmes, que dis-je, cette pression mise dès le plus jeune âge sur les femmes de savoir (suis-je belle, vais-je plaire ? (petite pression patriarcale de base)) que des problèmes plus intimes, des problèmes de régoulettes aux avortements en passant par les relations avec les hommes - leur faiblesse ou leur connerie. Rien d'étouffant en soi, même si l'on goûte presque physiquement la chaleur de cette vapeur qui s'exhale des quelques gouttes d'eau versées sur des pierres brûlantes, Hints prenant le soin entre deux discussions plus ou moins légères, de sortir de ce sauna pour nous aérer l'esprit et le corps (enfin surtout celui des femmes qui se baignent, les bougresses, dans de l'eau gelée). De quoi sera-t-il question plus précisément ici ? Eh bien notamment de la sempiternelle question des relations entre les femmes et les hommes, ou tout bonnement entre les femmes et les femmes ; certaines reviennent dans les détails sur le petit instant magique où elles ont découvert leur attirance pour le sexe non opposé, leurs premières amours, leurs premiers rateaux, voire la confrontation (moins magique) avec les parents. A l'autre bout du spectre, il sera aussi forcément question à un moment donné d'une histoire de viol (aujourd'hui, on ne peut y échapper, c'est malheureusement ainsi), un récit raconté avec émotion par une des jeunes femmes - qui, ce jour-là, sans que l'on puisse pour autant vraiment parler de "chance", s'en est sortie par miracle...

Un moment forcément un peu tendu, extatique ; mais en règle général, l'essentiel de ces paroles échangées baigne dans la bienveillance, dans la confiance en l'autre, et ces petits monologues intimes livrent des secrets souvent croustillants aussi bien sur le ridicule des hommes que sur les difficultés parfois d'être une femme dans la société estonienne. Peu de démonstrations sentimentales, en particulier en famille (on n'a pas vraiment affaire à un tempérament du sud ultra-démonstratif...) et ces saunas où les femmes se mettent forcément littéralement à nu semblent être l'endroit idéal pour que chacune d'entre elles puisse se décharger du poids plus ou moins lourd qui pèse sur leur esprit, sur leur condition, sur leur passé. La caméra, jamais voyeuse, capte ces propos sincères et touchants en voyageant sur ces chairs totalement libérées avec une belle simplicité voire une certaine poésie. Un doc intime sans être intimidant qui ne produit donc (ohohoh) pas seulement de la fumée. De la condition des femmes estoniennes en particulier et des femmes en général. Qui vivra sauna.