May December (2024) de Todd Haynes
Parfois joie parfois figue, j'ai décidément du mal à dire si j'aime ou pas le cinoche de Haynes... Une sélection à Cannes, pour celui-ci, deux actrices réputées, et au final l'impression d'avoir passé deux heures à regarder un ballon se dégonfler doucement... Tout du long, j'ai bien eu du mal à savoir, à comprendre, ce que Haynes tentait de faire avec cette histoire, scandaleuse au départ et traitée en marchant sur des œufs d'autruche... Portman veut incarner à l'écran Moore qui a défié la chronique il y a une vingtaine d'années en ayant une liaison et un enfant avec un Coréen de 13 ans (on a bien compris que c'est surtout le fait qu'il soit Coréen qui est surprenant... ouarf)... Moore a fait sa vie avec lui, a eu également par la suite des jumeaux, et semble mener dorénavant une vie relativement paisible. Portman, donc, se rend chez elle, pour être au plus près de son futur "personnage" à interpréter... et lever des lièvres (sait-on ?)... Bon, pourquoi pas... Mais dès le départ, malgré cette musique pianesque intermittente qui fout un peu les boules (on ouvre le frigo, musique qui fait monter la tension et... ben le frigo est ouvert, il doit faire froid...), on ressent comme une sorte de malaise... Pas seulement au niveau de l'ambiance du film (c'est un peu dérangeant quand même cette actrice qui s'invite chez toi pour faire un copier-coller, n'est-il ?) mais surtout en raison de cette impression d'être devant un film à "performance d'actrices" : Moore, sans make up, naturelle, honnête, à vif, Portman, sur le qui-vive, mimant son alter égo, ses postures, tentant de ressentir éventuellement ses émotions pour être plus crédible... On se focalise du coup sur toutes ces petites mimiques d'actrice et on en oublierait presque le reste du film...
Cela tombe, faut dire, assez bien, car il ne se passe pas grand-chose... Portman fait le tour de la famille, se rêve enquêtrice et ne découvre pas grand-chose (ses seules petites certitudes tomberont vite à l'eau...) ; Moore tente de donner le change, de se montrer "responsable et respectable" sans que cela ne puisse de toute façon faire oublier ses actes (il avait treize ans, le gamin, il y a abus, pas la peine de monter toute une théorie sur le coup de foudre et l'amouuur fouu). Haynes tente maladroitement de jouer de la parabole : la petite chenille qui devient papillon (le mec de Moore sortant tout juste de sa chrysalide : il était grand-temps j'ai envie de dire) ; la chasseuse avec ses deux chiens qui hésite à tirer sur un renard (Moore est une prédatrice... qu'elle le veuille ou non, qu'elle l'admette ou point, cela ne changera pas les faits)... Portman, en attendant, joue à l'actrice et se prend au jeu (face caméra, là voilà assaillie par l'émotion en "jouant" une lettre écrite par Moore - on mange quoi ce soir sinon ?)... Un fait divers guère reluisant traité avec petite pincette d'usage et sans coup d'éclat mais qui n'apporte pas grand-chose à notre réflexion ni aux schmilblick... mais peut-être un prix pour nos deux actrices toutes en émotion contenue ?... Bouarf. June January, moi, plus. (Shang - 13/12/23)
Bien que n'ayant pas non plus adoré le film, il me semble que Haynes va un peu plus loin que ce que mon camarade veut bien y voir. Certes, le personnage de Julianne Moore est impardonnable pour ce qu'elle a fait jadis ; mais aujourd'hui qu'elle a purgé sa peine, que son amant est devenu adulte et que leur mariage a des années de service, tout semble pardonné, et tout pourrait l'être : le film fait semblant dans un premier temps de filmer un personnage toxique, trouble, ambigu, mais peu à peu il vrille les faits et renverse les rôles. Et si c'était plutôt la comédienne venue enquêter sur la première qui était toute en dualité et en sombres desseins ? Complètement dépourvue de morale, elle va souvent outrepasser ses droits et ceux de la pudeur en empiétant de plus en plus sur le territoire de l'autre, jusqu'à tenter même de prendre sa place. A pervers, pervers et demi, semble dire Haynes, qui regarde ces deux femmes effrayantes comme des prédatrices sans scrupule, comme en miroir l'une de l'autre (ce que suggère un peu lourdement la mise en scène). Ce renversement du regard du spectateur est ce que le film a de plus intéressant : on croit qu'on va condamner une pédocriminelle, et on finit par détester plus la fausse empathie de celle qui va l'interpréter à l'écran.
Reconnaissons aussi que cette musique est parfaitement utilisée, d'autant qu'elle provient d'un autre film : c'est celle de Legrand pour Le Messager de Losey, reproduite à l'identique (avec une réorchestration) et qui colle génialement avec l'atmosphère tendue du film. Une tension sans esbroufe, très bien tenue par le cinéaste, qui vient d'on ne sait trop où mais qui est là. On s'apercevra au fur et à mesure du film de la somme de non-dits, de frustrations, de vies ratées, de domination et de manipulation qu'induit cette tension. Malheureusement, malgré toutes ces bonnes intentions, le film bute sur le ton sentencieux, trop mélo de Haynes. Le gars y va fort du symbole pour nous montrer en quoi son film est solennel et grave, y compris à travers sa direction d'actrices : elles sont prises l'une et l'autre en plein exercice de cabotinage à l'américaine, et la complexité de leurs personnages semble leur donner le droit de multiplier les tics de jeu fatigants. La pire est Portman, notamment dans cette lettre lue face caméra : ses demi-sourires, ses regards de travers, sa voix qui déraille, tout semble obéir à un story-board précis, beaucoup trop travaillé, c'est gavant. Le sujet du film n'étant à la base pas captivant, et la mise en scène beaucoup trop froide, beaucoup trop symbolique (aaaah ces animaux...), beaucoup trop "petit malin", on décroche assez vite, et on s'ennuie mollement devant ce numéro d'interprètes qui bouffent toute la place. Haynes ne nous convainc encore pas cette fois-ci... (Gols - 25/01/24)