LIVRE : Goldman d'Ivan Jablonka - 2023

Intéressante incursion des sciences sociales dans le champ de la variété française, en même temps que détour nostalgique dans les années 80, Goldman est un bouquin agréable à lire, en ce qu'il est intelligent et pertinent sur bien des points. S'appuyant sur l'icône française qu'est devenu Jean-Jacques Goldman, et tout en construisant plus ou moins soigneusement une biographie du bougre, Jablonka y dresse surtout un état des lieux de la culture populaire dans les années 80-90, domaine sur lequel peu d'intellectuels s'étaient penchés jusqu'alors. Il n'a pas eu accès au chanteur, ni à ses proches, ni aux documents familiaux ? Qu'à cela ne tienne, un historien n'a que faire des témoignages directs. Le voilà donc construisant une vie, fantasmée parfois, concrète lorsque les journaux la documentaient avec avidité, de ce chanteur discret jusqu'à l'effacement, modeste jusqu’au dénigrement, modéré jusqu'à la fadeur, auteur pourtant d'une bonne quarantaine de tubes qui ont caracolé en tête du Top 50 de l'époque. Un mystère, avare en interviews, qui a fini par disparaître complètement et de son plein gré en pleine ascension dans les années 2010. Un destin qui part d'une famille de Juifs cherchant à tout prix l'intégration : c'est la clé de voûte, selon Jablonka, du caractère de Goldman. Cette affirmation de son identité, couplée à un désir effréné de reconnaissance et à un goût pour la modestie bien ancré, façonnent l'âme de cet homme qui a passé son temps à fuir le star-system tout en le représentant presque à lui tout seul, qui s'est toujours méfié des engagements politiques (ce qui l'a fait se trouver souvent au milieu de tout, dans une modération légèrement passive), mais qui a toujours su être généreux quand il le fallait (son engagement pour les Restos du Cœur).

Jablonka est fan, aucun doute, il le reconnaît d'ailleurs lui-même. Peut-être un peu trop : dans ses moments d'emportement, il compare sans vergogne Goldman aux grandes figures historiques, ne lui reconnaît aucune tache, reste ébahi devant la constance de l'homme, en vient même à admirer son absence de caractère, finalement. Cet enthousiasme, s'il est charmant, enfonce souvent le texte dans l'hagiographie sans nuance. Parfois aussi, c'est vrai, ses analyses manquent cruellement d'intérêt ou de clairvoyance, et il enfonce maintes portes ouvertes sur la constance du chanteur, sur la prodigieuse intelligence de ses paroles ou sur son appartenance évidente au mouvement rock. Tout n'est donc pas bon dans ce livre. Mais il y a moult choses intéressantes, dont le fait que Goldman est un homme ordinaire qui fut balancé en tête des journaux. Jablonka décrypte avec finesse ce phénomène, mettant en lumière un état de la jeunesse française des années 80 désireuse de se reconnaître en ces "héros discrets" plus qu'en d’autres icônes plus extravagantes. Fait inexplicable et certainement admirable aussi : le retrait de l'idole, qui va jusqu'à sa disparition complète aujourd'hui : là aussi, le sociologue tente d'expliquer le fait, et il y parvient avec pas mal de brio. Dommage que le livre, pas assez documenté faute de témoins directs, se contente de feuilleter les journaux et les chiffres de vente pour expliquer tel ou tel événement dans la vie de Goldman. Il se rabat donc sur les chansons elles-mêmes, tentant d'en extirper les secrets d'une existence, les traces de l'antisémitisme, les prémices de la retraite future, la prépondérance des thèmes de l'exil ou du collectif, les témoignages de cette politique "à l'ancienne" (valeur-travail, discrétion et modestie, valeur individuelle, amour du self-made man...). Au final, un livre intéressant, qui nous replonge dans notre jeunesse et nous fait découvrir un personnage qui, peut-être, n'était pas aussi inintéressant qu'on le disait.