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5 octobre 2023

LIVRE : L'Accompagnateur (Der Heimweg) de Sebastian Fitzek - 2020

50460bf651939c72b0ac4735fb051df7ae875fbd293689f09fd90c8cdbb6c3a9Je vois pâlir les amoureux des Belles Lettres et du style ouvragé. Oui, Fitzek représente l'autre extrémité de la littérature, celle qui écrit sans vergogne avec le pied gauche, ce qu'il revendique d’ailleurs dans la postface de L'Accompagnateur. Le style, la construction, le vocabulaire ? Le gars s'en torche, ce n'est pas son problème. Et même dans le genre du polar : la véracité ? les caractères des personnages ? l'astuce de la chute inattendue ? Pareil, allez vous payer un Nesbo si vous n'êtes pas content. Ce qui intéresse le bougre, la seule chose qui le meut et qui, du coup, m'emballe dans ses romans, c'est le cliffhanger. Il importe de secouer son lecteur toutes les deux pages, dans un rythme de surenchère effrénée, de l'empêcher de réfléchir, de l'attraper par ses organes saillants et de le mener exactement où il veut dans un récit mené à 2000 à l'heure aussi crédible que mon billet d’entrée pour la finale de rugby. Dans un grand n'importe quoi narratif, le gars invente cette fois-ci un thriller anxiogène axé autour de la violence faite aux femmes, sujet actuel s'il en est. Il concentre sa trame sur quelques heures, sur un simple coup de fil qu'il va dérouler alors façon plan-séquence, ou plutôt en deux plans-séquence, les aventures des deux correspondants étant emmêlés dans un montage savant.

Une femme appelle un service d'entraide, tenu ce soir là par un type bien brisé par la vie, qui a vu femme et enfant mourir dans un incendie. Elle est violée, battue, humiliée, mise en spectacle sur internet, emmenée en partouzes trash, par son malade de mari. Recueilli un temps par le mystérieux Yannick qui prétend la sauver, elle se rend compte qu'elle est tombée sur un pervers pire encore, qui lui donne un dilemme : soit elle tue son mari avant le 30 octobre, soit c'est Yannick qui la tue, si possible dans d'horribles souffrances. Bien sûr, on est le 29 octobre à 23h59. Elle a donc décidé que sa seule façon de se sortir de cette situation est de se suicider. De cette base hautement probable, posée dès la deuxième page environ, Fitzek va dérouler un écheveau de coups de théâtre, qui va plonger tour à tour la femme et son accompagnateur téléphonique dans des épreuves toujours pires que la précédente. Si elle s'échappe des griffes d'un sadique, c'est pour tomber sur un homme pire encore ; s'il parvient à sauver sa peau lors d'une attaque au couteau, c'est pour recevoir une bastos la page d'après. On a l'impression que le monde selon Fitzek est peuplé uniquement de tueurs sadiques, de pervers, de monstres, de serial-killers ; sa vision de l'univers post-#MeToo est bien amer, oui, et c'est pas demain que les femmes arriveront à calmer les pulsions meurtrières des hommes. Dans un jeu assez pervers, Fitzek renvoie justement les femmes passives dans les cordes : toute la trame repose sur la docilité de la femme à se faire maltraiter par son mari, Fitzek ne se gênant pas, avec ses sabots de 100kg, pour critiquer vertement celles qui se taisent, qui se laissent faire. Féministe d'un côté, réac de l'autre : il faut bien plaire à tout le monde.

On a envie à chaque nouveau tour de passe-passe de fermer le livre, tant tout ça fonctionne sur des ficelles apparentes. Mais, et c'est le grand talent de cet auteur, on continue au contraire bouche bée, jusqu'au bout de la nuit. Parce que Fitzek n'a pas d'équivalent dans le rythme qu'il sait donner à ses livres. Toutes les deux pages (et je ne mens pas), il nous envoie un électrochoc, un événement incroyable qui relance la machine. Bon, souvent, il le désamorce deux pages plus loin. N'empêche : il y a là un plaisir de la surprise qui fait plaisir et fonctionne très bien. Peu à peu, la trame, qui était déjà douteuse au départ, se transforme en grand carnaval de n'importe quoi ; le dernier tiers est même carrément lassant. A force de surenchérir, il finit pat atteindre une sorte d'abstraction, et on cesse de le suivre dans ses délires et ses idées trop retorses. Mais sa façon de vous tenir captif dans son filet serré force le respect. Il faut tout de même un savoir-faire certain pour arriver à tenir ainsi sur 400 pages, uniquement sur des coups de gong réguliers. De la littérature MacDo, oui, et bien grasse ; mais quel délice.

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