Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
7 septembre 2022

LIVRE : Oh, Canada (Foregone) de Russell Banks - 2021

9782330168025,0-8698810Notre bon vieux Russell Banks, 82 ans au compteur, est toujours dans la place, et continue à nous écrire des romans profonds et passionnants, c'est une bonne nouvelle. Son nouveau livre sent tout de même méchamment le sapin, ou le livre testamentaire pour être plus respectueux envers cet auteur qui a tout de même marqué quelque peu notre jeunesse. Il s'agit d'un autoportrait à peine déguisé en artiste mourant : Leonard Fife, célèbre documentariste canadien de gauche, est interviewé par une équipe de télé alors qu'il vit ses derniers jours, atteint d'un cancer qui ne lui laisse plus aucun espoir. Mais alors que le jeune réalisateur voudrait le faire parler de ses expériences avec Joan Baez ou de ses films sur le capitalisme, le bougre décide, lui, de profiter de cette tribune pour régler les comptes de son passé. En présence de sa femme, pris dans un faisceau de projecteur, transformant ce moment en confession sans concession, il se laisse aller à un long monologue introspectif revenant sur ses deux premiers mariages, sur ses attaches et son rejet avec sa ville natale, sur son choix d'immigrer au Canada, sur sa lâcheté de jeune homme. Avec comme finalité de se décharger de ce poids avant de mourir, de tenter de trouver dans ses dernières heures, qui il est et qui il a été. Peu à peu, les temporalités se confondent, la maladie gagne et le discours mêle présent, passé, fantasmes et réalité dans un flot intarissable.

Il y a quelque chose d'éminemment crépusculaire dans ce texte comme venu d'outre-tombe, dans cette désarmante confession d'un homme célèbre qui occulte tout ce qui fait sa gloire pour ne se concentrer que sur les petites vilenies de son existence. On ne peut bien sûr s'empêcher de sentir l'ombre du vieux Banks là-dedans, et de trouver cet exercice de masochisme légèrement douloureux pour lui. Sans filtre, son "héros" décrypte son passé le plus honteux, l'abandon de ses épouses et de ses enfants, son manque de maturité, le retour plus ou moins honteux dans les lieux de sa jeunesse, sa fuite pas très glorieuse in fine. Mais on sent aussi la profonde honnêteté de cet homme arrivé à la fin de sa vie, et qui décide de passer par-dessus les conventions pour se livrer complètement. Ce savant dosage entre crudité et sensibilité fait merveille dans cette écriture introspective mais jamais psychologique (l'école américaine), lucide mais jamais plaintive. Banks réussit parfaitement à mettre en parallèle la déréliction du corps de Fife et ses souvenirs vacillants, dans un complexe réseau de flash-back enchâssés l'un dans l'autre, avec des retours souvent assez vertigineux dans la trivialité du présent. Et on admire comme toujours la stupéfiante imagination des auteurs américains, qui parviennent à rendre crédible toute une existence par la précision des détails, à embrasser toute la complexité d'un personnage par l'accumulation de faits concrets et parfois minuscules. Oh, Canada est parfois un peu long et répétitif, on s'y ennuie de temps en temps, et on dirait qu'il n'est pas complètement fini, que Banks a laissé tomber au bout d'un moment l'ambition de sa trame il est vrai très vaste. Mais malgré ça, il est écrit dans une prose très impressionnante, et dans une construction parfaitement maîtrisée malgré sa complexité. On plonge en deux pages dans ce flot de mots et de fantasmes, de rêveries et de souvenirs, de mensonges et de vérités, et on n'en ressort que 400 pages plus tard, assez sonné par l'ambition du roman.

Commentaires
Derniers commentaires