Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
18 septembre 2020

Pain et Chocolat (Pane e cioccolata) de Franco Brusati - 1974

unnamed

Surpris par ce film qui a déjoué toutes mes attentes : j'avais envoyé le truc pour rigoler un peu, mettant sur le compte de la bonne franquette le titre un peu populo, et je me suis retrouvé avec un machin tout émouvant, très joliment construit et réalisé malgré le peu d'aura de son réalisateur, marrant certes mais aussi très souvent mélancolique et virulent dans sa critique sociale. Même si on est quand même assez loin des satires punk de Dino Risi, ce Brusati aime à filmer les mêmes couches sociales et son discours, finalement, revient au même : quand tu es pauvre et déclassé, tu restes pauvre et déclassé. C'est l'amère expérience que va vivre Nino, immigré italien en Suisse allemanique, décidé à trouver un taff convenable pour faire venir sa famille sur place. Mais les moeurs des deux pays ne sont pas faites pour cohabiter : Nino va se trouver confronté à la rigidité du pays, au racisme ambiant et au mépris de classe. Naviguant de petits boulots de misère en emplois au black sous-payés, toujours avec l'honnêteté chevillée au corps, il s'enfonce de plus en plus dans la lose-attitude, peinant à cacher sa nature méditerranéenne dans un pays porté sur l'austérité, butant contre les barrières séparant son monde prolo des hautes sphères, qu'il ne cesse pourtant de côtoyer.

image-w1280

Comme symbole de son déracinement : un sandwich au chocolat, qu'il déguste lors de la scène d'ouverture dans un parc élégant rempli de pique-niqueurs beaux comme des coeurs. Dès qu'il attaque son repas, tout le monde s'arrête et le fixe, comme s'il était une incongruité. Dès lors, l'engrenage est enclenché. D'abord serveur dans un grand restaurant, il se fait virer, concurrencé par un Turc tout aussi misérable que lui (très belle séquence où il aperçoit l'heureux élu avec sa famille sur le quai de la gare). Il va devenir le bras droit d'un type un peu louche, richissime mais malheureux en amour, puis simple errant dans les rues de la ville, teint en blond pour tenter de s'assimiler au peuple suisse, mais trahi par son nationalisme lors d'un match de foot. Le sommet du film sera quand, dans la dèche totale, il pensera à s'engager dans un abattoir à poulets. Là il va se frotter à l'immigration italienne la plus sordide, retrouvant effectivement le temps d'une séquence les "Monstres" de Risi, dans un moment sordide qui va culminer avec la plus belle scène du film : des gueux qui regardent s'ébattre des "aryens" suisses, hagards et fascinés, derrière les barreaux d'un poulailler, au son de Mozart. Au milieu de cette gabegie, son seul espoir viendra de sa voisine, immigrée elle aussi (Anna Karina), la seule à lui apporter un peu de tendresse et de respect. A chaque épreuve, Nino est prêt à quitter le pays et à renoncer à ses ambitions ; mais quelque chose le retient en Suisse, l'honneur, la fierté, l'espoir de plus en plus mince d'être accepté. On le voit, pas très gai, tout ça...

breadnchoc31ie

On ne sait jamais si l'on doit rire devant le pathétique des situations (Nino soupçonné de meurtre puis jugé coupable d'urinage en public) et les mines déconfites de notre héros, ou se lamenter devant les injustices dont ce petit bonhomme est victime. Le film navigue ainsi avec subtilité autour d'une certaine mélancolie qui ne se veut jamais mélodramatique, d'une comédie qui n'est jamais ouvertement poilante. En tête d'affiche, on retrouve l'immense Nino Manfredi, aux traits du visage éternellement changeants et tous émouvants. Il compose un petit mec sans envergure tout à fait touchant, et son duo avec Karina, comme toujours un peu agaçante avec ses mines de bichette de 5 ans, fonctionne très bien. L'acteur traverse le film sans se départir de son sang-froid malgré l'adversité, et apporte une chaleur incroyable à ce film doucement triste. Il ne reste plus grand-chose à faire du côté de la mise en scène pour rendre la chose attachante, mais Brusati est là quand il faut, sachant doper ses scènes par des petits plus qui en dopent les intentions (la scène finale, très jolie). Bien beau moment.

Commentaires
Derniers commentaires