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20 avril 2019

LIVRE : Seules les Bêtes de Colin Niel - 2017

9782330118426,0-5520998Polar rural chapitre 2, on est décidément en phase avec mon camarade. Meilleure pioche pour moi, j'ai l'impression, puisque voilà un bon vieux polar tout à fait intéressant, dans ses personnages en tout cas, qui nous fait renouer avec une certaine veine du genre en France, et nous fait nous rappeler ce qu'on aime dans le polar hexagonal : des ambiances fortes, des personnages crédibles, des actes vraisemblables, plus que des coups de théâtre à rallonge et des hectolitres d'hémoglobine. En ce sens, Seules les Bêtes est très réussi. Niel s'y intéresse (ce n'est pas le premier) à ces petits paysans miséreux et isolés, devenus à moitié sauvages sous les coups conjugués de la solitude et de l'indigence économique. Le contexte est fort, presque politique : les héros de ce polar seront des gens ordinaires perdus dans le trou du cul du monde, assistante sociale, paysans mutiques, néo-ruraux en retour de baba-coolerie. L'intrigue, simplissime, du départ : une bourgeoise du coin a disparu, sa voiture abandonnée, et aucune trace du corps. Est-ce la tempête qui l'a emportée, comme le soupçonnent encore les vieux ? Ou doit-on chercher là dedans des sentiments beaucoup plus sombres qui habitent nos agriculteurs du Causse ? Bingo, c'est la deuxième. Tour à tour, les protagonistes de l'histoire prennent la parole, avec d'ailleurs des changements de registre très bien menés par l'écriture de Niel ; et on découvre grâce à eux tout un réseau souterrain de vieilles rancunes, de tromperies, d'espoirs brisés, tous issus de cette misère financière et affective qui saisit les paysans. La trame nous amènera jusqu'en Afrique, curieusement urbanisée par rapport à la campagne française, sur les traces d'un petit escroc du net tout aussi minable que ces grandes brutasses de ruraux hexagonaux. Une intrigue très joliment menée, malgré sa simplicité et son manque d'originalité ; et la construction chorale du récit permet à Niel de livrer ses indices peu à peu, en suivant le point de vue de chacun façon Rashomon, sans prendre d'avance sur la trame par rapport au lecteur. On s'enfonce de plus en plus dans la dépression chronique, et le portrait de la campagne, très juste, en ressort dans des couleurs grises assez désespérantes.

Chez Renoir, tous les hommes ont leurs beautés, leurs justifications ; chez Niel, tous ont leurs noirceurs et leurs bassesses. Le roman n'est pourtant pas misérabiliste, il reste dynamique, très humain, très véridique dans le portrait de ces pauvres êtres isolés du reste du monde, et qui compensent en faisant à peu près n'importe quoi : en trompant leurs maris, en draguant sur internet, en assassinant des femmes ou en fantasmant sur des cadavres en décomposition. Niel parvient à merveille à donner l'impression que le roman avance très vite, tout en prenant tout son temps pour densifier ses personnages, leur donner une patine réaliste, leur faire faire des choses auxquelles on croit. Le livre est très triste, chacun portant sa part de culpabilité dans cette pathétique histoire qui démarre comme un adultère à deux balles et se termine dans le sang. Mais Niel comprend définitivement bien ses personnages et le monde qu'il met en place, qu'il soit à nos portes ou teinté de l'exotisme de l'Afrique. Un bien beau polar noir et gris, encore une belle réussite pour Actes Sud-noir qui sait toujours conjuguer écriture fine et trame solide.

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