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Shangols
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13 novembre 2018

LIVRE : Le Meurtre du Commandeur (Kishidanchô Goroshi) d'Haruki Murakami - 2017

9782714478382,0-5425213Prenez tous les ingrédients des précédents bouquins de Murakami, mixez le tout, et voilà : vous obtenez un beau roman tout neuf et bien consistant (900 pages) qui vous satisfera sans problème. C'est le truc avec le vénérable japonais : au bout de deux lignes, vous êtes déjà en terrain sûr, bien dans vos pantoufles, reconnaissant sans problème les éternels motifs du gars. Et pourtant, c'est à chaque fois le même plaisir, le même charme, celui de retrouver un univers ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Impossible de vous dire exactement comment il fait, mais le fait est là : Le Meurtre du Commandeur est exactement le même livre que les autres de son auteur, et il est pourtant passionnant. C'est même incroyable qu'une telle écriture tienne comme ça sur la longueur : le livre est lentissime, très répétitif, reprécisant chaque idée 10 fois, s'attardant sur d'infimes détails, prenant tout son temps pour raconter son histoire. Ce qu'on peut appeler le zen, si on veut. A intervalles réguiers, Murakami efface tout façon mandala pour nous repréciser l'ensemble de sa trame, refaire un résumé de ce qu'on vient de lire, histoire de bien nous laisser empêtré dans ses filets. Mais malgré cette lenteur, on suit cette trame complètement barrée la bouche ouverte, avide de savoir la suite.

Le livre s'ouvre sur un des ces éternels hommes moyens chers au gusse : un peintre que sa femme vient de quitter emménage dans une maison isolée dans la montagne pour s'y consacrer à son art qu'il espère consolateur. Mais très vite il déniche dans le grenier de la maison un tableau laissé par l'ancien propriétaire des lieux, maître au passé chargé : une représentation d'une scène de Don Giovanni étrange et envoûtante. Tableau qui va être le point de départ d'une étrange introspection devant le reconduire (ou pas) à la reconquête de sa femme et à l'acceptation de lui-même. Ajoutez à ça un riche voisin bien secret, un puits au fond du jardin, un bruit de clochettes, une jeune adolescente mutique, un ami d'enfance chargé de lourds secrets, un homme à la Subaru blanche très lynchien, un livre de poche qui ne dit pas son nom, un hibou symbolique, un lutin qui semble échappé du tableau en question, un attentat pendant l'Anschluss, le suicide d'un soldat entraîné dans un massacre, un passeur de fleuve privé de visage, des histoires de paternité supposée, et vous n'aurez qu'une partie des éléments qui vont peu à peu étoffer la vie de notre héros et transformer son existence en un gros rébus. Murakami construit un nouveau labyrinthe inexplicable et bien souvent inexpliqué, plein de trappes cachées et de créatures magiques, et si vous avez lu La Fin des Temps ou La Course eu Mouton sauvage, vous ne devriez pas être dépaysé par cette nouvelle démonstration du caractère magique de l'existence, pour peu qu'on la regarde en artiste. Le gars sait toujours exactement donner les infos qu'il faut, s'arrête pile au moment où trop d'explications tueraient la magie, connaît le moment exact où stopper les aventures extraordinaires sans plonger son roman dans l'ésotérisme ou la fantasy à deux balles. Un tel sens de la mesure force le respect. En pleine possession de ses moyens, il donne quelques pages magnifiques sur la peinture ou la musique, creuse les jolies relations entre le narrateur et la jeune Marié, et parvient à rendre fascinant un personnage banal et sans vraie épaisseur.

Tout ça, c'est grâce à son génie de la construction, et à une écriture très minutieuse (malheureusement encore rendue un peu laborieuse par la traduction d'Hélène Morita). Le diable gît dans les détails, et le style de Murakami est plus que jamais foisonnant de micro-détails absolument imparables : il lui suffit de ficher une casquette de sport sur la tête d'un de ses personnages, ou de lui donner un tic de langage, ou de décrire une minuscule posture, pour que la magie opère, et qu'on soit convaincu d'avoir devant nous un peintre très précis de la vie et de l'humain. Quand il faut envoyer de l'étrange, le gars est là et bien là, mais disons qu'on le connaît déjà sur ce terrain-là. Il est beaucoup plus émouvant quand il décrit la nature, le passage lent des jours, la solitude de son narrateur, les atmosphères de son environnement. On a l'impression parfois d'être devant un tableau japonais, tout en détails et en simplicité. Ce portrait d'un être seul qui réapprend à aimer sa femme est touchant et magnifiquement rendu ; le fait qu'il lui ait fallu en passer par toutes ces aventures rocambolesques le rend d'autant plus attachant, puisque son secret (les sentiments tout simples de l'amour, de la paternité, de l'amitié) sont cachés sous ces dehors de roman fantastique. Insaisissable et magnifique.  (Gols  09/11/18)


9782714478399,0-5425215Oui, il y a une vraie facilité chez Murakami à nous tirer par le bout du nez, et ce malgré le peu de rebondissements, les nombreuses répétitions (on peut lire le bouquin sur un an, on ne risque pas d’oublier quoi que soit), un "sens de la résolution" relativement à la coule... Murakami excelle à décrire chez son personnage principal les bas (son divorce un peu soudain) et les hauts (son amitié avec cette toute jeune fille), ou à tisser des liens "magiques", métaphysiques entre les personnages (notamment entre sa soeur morte à cette demi-orpheline). Le fantastique s'invite dans son récit une nouvelle fois sur la pointe des pieds, sans que l'on perçoive chez l'auteur l’envie de chercher les coups d'éclats à tout prix, de faire dans la surenchère (sur le plan horrifique, ou sexuel d’ailleurs… que le bouquin soit censuré à Hong-Kong laisse pantois). L'histoire donc d'un peintre qui se retrouve face à lui-même, face à la toile blanche de sa vie et qui se doit de chercher à nouveau l'inspiration au fond de lui-même : comme pour retrouver le goût de la créativité (a painter and a writer in progress in a way), pour retrouver tout simplement l'envie de vivre – en cherchant à se lier avec son prochain (ou sa dernière...). Tous les espaces sont sombres, confinés (le temple excavé dans le jardin, le grenier habité par un hibou, le long parcours du combattant du héros lorsque la trappe s'ouvre enfin dans cette chambre d'hôpital...), tout un système qui laisse à penser que le héros va chercher dans les profondeurs de son subconscient les ressources pour retrouver la foi, l'envie d'y croire...

Un nouveau page-turner en quelque sorte en mode mineur (comme on le dit d'une symphonie sans que cela impacte sur sa "qualité" intrinsèque) dont les dernières pages ne furent pas étrangement sans me rappeler la vision récente de Burning (adapté d'une histoire de qui vous savez) : d’un côté un héros volatile qui ne cherche jamais trop à s'imposer, qui subit plus qu'il n'agit (une héros murakamien typique quoi), et de l’autre un vis-à-vis plus hautain, plus sûr de lui, blindé de thunes, qui n'arrive à ses fins qu'en manipulant relativement finement son entourage... Bien sûr, même si le héros murakamien a besoin de tours et de détours pour retomber sur ses pieds, c'est celui-ci qui finit par gagner toute notre sympathie : comme si le personnage qui se perd dans la fiction se devait d'être plus aimable que celui qui se plaît à être aux manettes de la réalité - je me relis et je m'entends. On pourrait également évoquer au passage (c'est le "Chinois" qui parle en moi) les diverses références historiques du bouquin et notamment l'allusion au massacre de Nankin qui n'est pas si courant dans un ouvrage japonais (le mea culpa est long, long, long...). Un bon point pour le gars Murakami qui malgré ses petits airs parfois superficiels et légers ne se laisse de toute évidence jamais complétement bercer par les illusions. Un meurtre tout en douceur(s) mais point totalement innocent.  (Shang 13/11/18)   

Commentaires
H
Je ne suis pas l'auteur du premier commentaire. Si j'ai quelque chose à dire, je le dis clairement et je signe. Pour ce qui est des titres, je ne dirai qu'une chose : sachez qu'il s'agit d'un choix de l'éditeur ( c'est son privilège ). J'ai partagé votre compte-rendu du Meurtre du Commandeur sur ma page Facebook, parce que je le trouve intéressant. Ensuite, chacun jugera. Hélène Morita
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A
Je vous remercie de m’avoir répondu.<br /> <br /> Chacun sa version, chacun son angle de vue, chacun sa « vérité » comme dans Rashomon (Kurosawa).
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A
Je ne vois vraiment pas ce qui vous permet de traiter la traduction d’Helene Morita de laborieuse. Je trouve au contraire qu’elle sait parfaitement rendre les petites nuances chères à Murakami.
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H
À ma décharge, ce ne doit pas être évident de traduire le japonais.
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