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25 avril 2018

LIVRE : Portnoy et son Complexe (Portnoy's Complaint) de Philip Roth - 1969

9782070364701, 0-623481Un roman qui ne parle que de branlette, diront ses détracteurs, et c'est pas faux. C'est effectivement le sujet central de Portnoy et son Complexe, roman labyrinthique et dément sur les pulsions sexuelles d'un jeune Juif vampirisé par ses parents et obnubilé par les rondeurs et orifices de ses contemporaines, qu'il rêve de contempler, pénétrer et lécher jour et nuit. On fait plus consensuel comme sujet, mais Roth s'attaque au sujet sans aucun frein à la chose, réalisant un roman qui a autant à voir avec la fantasmagorie fellinienne qu'avec les tabous woodyalleniens. Dès ses débuts, Roth écrit le roman des années 60, si vous voulez vous marrer comme des baleines, et si une certaine vision de la femme ne vous dégoûte pas trop. Oui, parce que à l'époque de #Metoo, Roth serait immolé en place publique : le discours de son double de fiction, Portnoy, dont on découvre ici le long monologue qu'il débite devant un psy, est un exemple de muflerie. Pour lui, les filles sont des vulves sur pattes, qu'il importe de convaincre de lui pratiquer des caresses buccales et de se taire le reste du temps. Certes, son éducation ne cesse de le turlupiner, et il se désole plus souvent qu'à son tour de ne pas parvenir à tomber amoureux de la gentille et intelligente jeune fille parce qu'elle refuse de lui prodiguer la pipe désirée. Mais il le reconnaît : il n'envisage son existence qu'en termes de séduction, de sexe et de coït. Sûrement par opposition à sa mère, et c'est là qu'on touche au comique pur : la mère Portnoy est l'archétype de la mère juive, surprotectrice, impudique, excessive, qui traite son fils de 30 ans comme un gamin, qui pique une crise de larmes à chaque petite nouveauté dans sa vie, qui traite la vie privée comme une chose à déballer en public. Face à elle, Portnoy est terrorisé, affligé, anéanti sous la force de cette mère castratrice et criarde ; d'autant que le père, lui, semble entièrement tourné vers ses intestins malades, quand il ne se tourmente pas pour les on-dit et le qu'en-dira-ton. Nul doute qu'avec une famille pareille, Portnoy ne devienne un monstre de déséquilibre.

On se marre franchement aux mille anecdotes de ce roman dantesque, d'autant que Roth est un pur génie pour mettre le doigt sur le détail drolatique, sur le tout petit bidule too much qui va finir de vous achever. Mine de rien, il parvient à toucher du doigt les frustrations induites par cette fameuse âme juive, et à dessiner un personnage rempli de blocages et d'obsessions parfaitement crédible. Le texte, foisonnant, rempli d'expressions juives, est un savant dosage de langage parlé et de raffinement littéraire. Pour peu qu'on n'ait pas froid aux yeux, si on aime l'humour un peu pipi-caca-prout, si on a du goût pour la franche crudité, et si à la fois on aime la langue hyper-milimétrée, le style au cordeau, on aimera Portnoy et son Complexe, grand livre obscène qui relie la poésie et les blagues de Toto. On y trouve une grande intelligence, une tendresse qui fait penser à Fante, alliée à une écriture dense et sinueuse, qui joue avec les rythmes et les champs sémantiques, capable de faire rimer bite et sémite, branlette et anachorète. Rare de pouvoir rire franchement avec un livre publié dans la Pleiade, grâces en soient rendues au grand Philip Roth.

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