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7 avril 2018

LIVRE : Pierre et Jean de Guy de Maupassant - 1887

9782290335444,0-184506Ah ben oui, un petit regard vers les classiques de temps en temps, ça permet de rester un peu confiant en la littérature. Je n'avais curieusement jamais lu cet incontournable des cours de français, c'est chose faite, avec le plaisir et l'admiration dûs. Maupassant traite d'un sujet très délicat, presque ineffable : la jalousie d'abord, et la sensation de trahison d'autre part. Il le fait avec une délicatesse, une pudeur, un sens de la mesure remarquables. C'est l'école française ; là où les Russes se seraient arrachés les cheveux, Maupassant, lui, écrit sur les petites choses, la mer, la nuit qui tombe sur un port, une partie de pêche. Mais les sentiments, cachés, non-dits, n'y sont pas moins bouleversants. C'est comme si le sujet précis du livre était à prendre entre les lignes, perdu au milieu de la bienséance, de la politesse, de la haine du sentiment qui habitent cette famille de petits-bourgeois satisfaite.

Pierre, docteur, et Jean, avocat, sont les deux fils d'une famille de classe moyenne du Havre. Petites sorties dans le bateau paternel, thés sages, rêveries d'avenir, tout est calme et volupté confortable, juqu'au jour où un héritage inattendu tombe sur la tête de Jean, en l'occurrence celui d'un ami de la famille. Là où tous ne voient là-dedans qu'une bonne nouvelle, permettant au jeune homme de s'installer et d'épouser l'oie de service, Pierre, lui, est immédiatement envahi par la jalousie, puis peu à peu par des doutes beaucoup plus obsédants : Jean ne serait-il pas le fils de ce bienfaiteur mystérieux, leur mère n'aurait-elle pas fauté, et leur famille ne serait-elle pas frappée de ce fait du sceau du déshonneur ? Questions qui vont obnubiler Pierre, précipiter sa chute et changer totalement son regard sur cette famille immaculée en surface mais pêcheresse en profondeur. Maupassant opère un glissement très habile de points de vue : partant du regard assez goguenard d'un narrateur extérieur, il passe tout à coup dans le regard de Pierre, point de vue qu'il tiendra pendant la majeure partie du roman, avant de réouvrir la chose et de nous donner le regard de la mère et de Jean. Ces subtils et adroits changements lui permettent de travailler sur l'obsession de Pierre, sur ce soupçon qui grandit et va finir par lui bouffer la vie, d'être complètement dans son esprit, avant de lever la tête et de regarder les choses sous un autre angle.

Cette tempête sous un crâne nous est décrite sans excès, avec un sens de la mesure épatant. Il suffit au gars de nous décrire une partie de pêche, avec les regards échangés et les phrases à second degré qui fusent, pour qu'on comprenne les tenants et les aboutissants d'une situation ; il lui suffit d'un simple repas pour fabriquer un nouveau tourment à Pierre, ou d'une simple phrase ambiguë prononcée par un anonyme pour lui remettre la tête sous l'eau. Alors qu'en surface les relations se fissurent lentement, sans fracas, les pensées du héros sont décrites avec une acuité, une cruauté et une vérité terribles. Le tout prend place dans le naturalisme champêtre si cher à Maupassant, et ses descriptions simples et franches de la nature sont également parfaites de précision et d'évocation. Un roman discret et faussement simple, délicatement sophistiqué quand on fouille un peu, très joli.

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